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Marx et la poupée, Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila

Marx et la poupée — Maryam Madjidi

« Ainsi, dans la tête de la petite fille, s’est tu le persan. »

Il était une fois une petite fille qui donna ses poupées aux enfants du quartier pour apprendre « le détachement matériel et l’abandon de la propriété » communistes, et des parents qui cachaient des tracts politiques dans sa grenouillère. Il était une fois un arbre, au pied duquel furent enterrés les rêves de la mère, les jouets de la petite fille, les livres interdits du père et les 32 lettres d’un alphabet. Il était une fois trois naissances et une histoire de racines, d’exil, d’assimilation et de retrouvailles. Maryam Madjidi est une conteuse brillante qui se confronte à l’exercice difficile de ne pas chercher simplement à épater, faire rire ou pleurer, mais de « déterrer les morts en écrivant », raconter avec « fierté » et une « douleur refoulée », les fantômes, les cauchemars, les dessins, les mains du père, les carnets noirs de la mère. Marx et la poupée oscille entre conte poétique et récit autobiographique, enfance iranienne et jeunesse parisienne, première et troisième personne, en un jeu sensible et intelligent avec la distance à soi, au présent, aux racines.

Maryam Madjidi

À 6 ans, Maryam quitte l’Iran avec sa mère pour rejoindre son père en France. Le tumulte de son enfance partagée entre la chaleur de sa grand-mère aimante et la peur pour les amis de la famille qui disparaissent et l’oncle Saman en prison, peur de la Mort et la torture qui planent sur Téhéran, s’estompe dans la grisaille d’une chambre de bonne du 18e arrondissement. Elle découvre le français, la honte d’entendre ses parents s’exprimer dans une langue qu’ils maîtrisent mal, les administrations à qui les lettres qu’elle rédige à leur place sont adressées, la fadeur de la nourriture de la cantine, le drapeau tricolore sur la façade de l’école. L’assimilation, comme un ciseau qui coupe le ruban d’une ligne d’arrivée à atteindre : l’effacement des origines, de la langue maternelle et de l’altérité au nom d’une intégration dans laquelle se dissimule trop souvent un racisme qui n’accepte la différence qu’en tant qu’exotisme. — « On efface, on nettoie, on nous plonge dans les eaux de la francophonie pour laver notre mémoire et notre identité et quand c’est tout propre, tout net, l’intérieur bien vidé, la récompense est accordée : tu es désormais chez les Français, tâche maintenant d’être à la hauteur de la faveur qu’on t’accorde. Étrange façon d’accueillir l’autre chez soi. »

Française en Iran, Iranienne en France, Maryam Madjidi tente de résoudre le paradoxe douloureux de l’exil et démêle les nœuds d’une identité construite, déconstruite, reconstruite autour d’une double culture qui est à la fois richesse et fardeau. Elle raconte le duel entre la langue maternelle et celle de l’exil et des diplômes, l’histoire d’une langue et d’une écriture rejetées puis retrouvées. Tout au long du chemin, se confondent, en une image douce et émouvante, les silhouettes du persan et de la grand-mère, fantômes de deux vieilles dames boiteuses et pensives dont les voix bercent et guident vers l’apaisement qui succède à la douleur et à la colère. L’autrice parvient à poser avec beaucoup de justesse des mots tour à tour tendres et acérés sur la complexité des sentiments d’appartenance et de rupture et orchestre les fragments de vie qui composent son récit avec une écriture simple et directe loin d’être dénuée d’humour, de finesse, de vivacité et d’intelligence. J’ai lu Marx et la poupée en novembre avec beaucoup de plaisir, sans m’attendre à être si touchée par ces « trois naissances ». Je ne m’attendais pas non plus à ce que l’émotion résiste et s’affirme avec autant de force à la relecture effectuée pour cet article. Pourtant, elle est intacte, va droit au cœur, et c’est moi qui lui cède de nouveau. À votre tour !

« Je voudrais me taire quand on me demande mes origines. Je voudrais raconter autre chose, n’importe quoi, inventer, mentir. Je voudrais aussi qu’on me pose d’autres questions, des questions inattendues, déroutantes, même absurdes, qu’on me surprenne. Et en même temps, je me vautre dans mon petit monde exotique et j’en tire une fierté jouissive. La fierté d’être différente. Mais toujours cette gêne, cette voix intérieure qui me rappelle que tout ça ce n’est pas moi, que je me cache derrière un masque, celle de l’exilée romanesque. Je vous le donne, ce masque, prenez-le, je le dépose dans vos mains. »

Marx et la poupée, Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila, Un dernier livreMarx et la poupée, Maryam Madjidi.

Éditions Le Nouvel Attila, 2017.

202 pp.

Lou.

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