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Neil Gaiman- Anansi Boys

Tout débute par une histoire. Que ce soit moi, vous, le monde, la vie, les cailloux ou la poussière, tout possède et provient d’un récit. Depuis l’Aube des temps, les histoires créent l’univers, le forgent et le développent, l’étendent de toutes parts à la manière des fils d’une toile d’araignée infinie. Mais qui est à l’Origine de ces histoires? Certains prétendent que ce sont les Hommes, d’autres Dieu, mais Neil Gaiman a sa propre idée sur le sujet. Un peu plus onirique, un peu plus animal.

Anansi Boys est donc une histoire, celle de Gros Charlie Nancy, personnage paisible et assez quelconque fiancé à Rosy, futur gendre d’une belle-mère sèche et au caractère exécrable, travaillant chez Graham Coats sous le ciel pluvieux de Londres. Ayant, selon ses souvenirs, passé une enfance assez traumatisante à cause des tours loufoques lancés par son père, il s’en est éloigné le plus possible. Sauf que voilà, son géniteur a passé l’arme à gauche, et Charlie se doit de retourner en Californie pour lui rendre un dernier hommage.

Mais un petit détail fait que tout n’est pas si simple, car son défunt père n’était autre qu’Anansi, déité maligne et rusée, qui a passée sa longue existence à faire tomber les filles, chanter, jouer des tours aux autres entités et surtout, surtout, raconter des histoires. Et pourtant, Anansi n’est qu’une Araignée. Ce n’est pas Singe, habile et humanoïde, ce n’est pas Eléphant, puissant et sage, ce n’est pas non plus Oiseau, terrible et multiple ou encore Dragon, gigantesque et légendaire et ce n’est surtout pas Tigre, à qui il a chipé tous les récits et toutes les créations et chansons pour les faire siennes. Car avant, tout n’était que terreur, traque, sang et nuit. Un peu déprimant et surtout pas du tout aux goûts de la tarentule-suprême qui en a fait des chants plein de lumière, de malice et de belles choses.

“Gros Charlie monta dans sa chambre couleur de fond sous-marin où, tel un petit Bouddha, son citron vert reposait sur le plan de travail.
“Tu ne me sers pas à grand chose”, dit-il. Ce qui était injuste. Le citron n’était qu’un citron. Il n’avait strictement rien de spécial. Et il faisait de son mieux.”

Bref, Gros Charlie n’a rien hérité de son père. Il n’a pas sa classe, pas son allure, pas son culot. Il a plutôt tendance à se prendre les pieds dans le tapis, se faire discret, bredouiller en public et croquer dans les fruits décoratifs en cire de sa chère belle-mère.
Mais tout va basculer le jour où Mygale rentre dans sa vie. Mygale n’a rien de velu ou de piquant, il a deux jambes, deux bras, un sourire éclatant, un groove qui le rend irrésistible et il est le frère de C.Nancy. Capable de voyager en un claquement de doigts, de créer une chambre luxueuse avec vue sur une cascade tropicale dans un pauvre appartement Londonien, il semblerait qu’il soit l’héritier du caractère magique et nonchalant de son père.
Avec lui, les ennuis commencent car Mygale est bien décidé à rester avec son frère. Paré des meilleurs intentions, il va pourtant l’entrainer dans des histoires pas possibles, les menant jusqu’aux début du Monde à la recherche de Tigre, Oiseau et tous les autres pour sauver leurs propres peaux, devoir traquer un dangereux criminel et parcourir des îles à vélo armés d’un citron vert.

“Hormis le fracas des vagues sur des brisants derrière lui, loin en contrebas, il n’entendit rien du tout. Seulement le silence. Mais une forme de silence bien particulière. Comme Gros Charlie l’avait un jour imaginé, il en existe bien des types. Les tombes ont leur silence, espace a le sien, les sommets des montagnes le leur. Ce silence-là était un silence de chasse, un silence de traque. En son sein un être se déplaçait sur des coussinets de velours, mû par des muscles évoquant des ressorts d’acier sous une fourrure soyeuse; un être de la couleur des ombres dans les hautes herbes; un être qui prenait garde à ce qu’on n’entendît rien qu’il ne voulût être entendu. C’était un silence qui oscillait de droite et de gauche, lentement, inexorablement, et que chacune de ses oscillations amenait plus près.”

Neil Gaiman se régale dans ce roman. Armé de son humour le plus british, il fait preuve d’une imagination sans égale qui va de rebondissement en rebondissement. Anansi Boys est génial du début à la fin, nous baladant d’une ambiance à une autre en un battement de cils, il s’agit d’un roman intelligent et délicat malgré son côté résolument absurde.
Parfois les passages sont d’une incongruité totale, parfois plein de poésie. La maladresse de Gros Charlie et celle de son frère Mygale, un peu pataud dans sa démonstration de sentiment malgré sa tchatche à toute épreuve font écho aux rapports parfois conflictuels et délicats d’une fratrie. De même, le rapport entre le personnage principal et son père, source de toute cette épopée est nimbée de honte, de rancoeur mais aussi de beaucoup d’amour sont une analogie sympathique et mignonne qui existe parfois entre un père son fils.

“Charlie, ces jours-ci, est chanteur. Il a perdu une bonne partie de son embonpoint. C’est à présent un homme mince, toujours coiffé d’un chapeau de feutre. Ils possèdent beaucoup de feutres différents aux couleurs variées. Celui qu’il préfère est vert.
Il a un fils prénommé Marcus qui, âgé de quatre ans et demi, possède la profonde gravité et le sérieux que seuls ont jamais pu maitriser les jeunes enfants et les gorilles des montagnes.”

J’ai redécouvert cet auteur au travers de cette écriture pleine d’esprit déjà présente dans Coraline entre autre, qui m’a démontré une nouvelle fois le génie de l’humour anglais. Pince-sans-rire, classe, apagogique et extravagant, bourré de jeux de mots: dans la lignée des Monty Python et autre Terry Pratchett, Neil Gaiman mérite sa place d’écrivain fou et génial qu’il faut lire au moins une fois dans sa vie pour se rappeler que les histoires sont aussi nécessaires que vitales. D’où qu’elles viennent et où qu’elles aillent, que se soit un Tigre belliqueux et arrogant ou bien une petite Araignée maligne qui les chantent, c’est une belle mélodie à lire et à transmettre.

“Vous savez ce que c’est: vous prenez un livre, vous cherchez la dédicace, et vous vous apercevez qu’une fois de plus  l’auteur a dédié son roman à quelqu’un d’autre plutôt qu’à vous.
Pas cette fois.
Parce que nous ne nous sommes pas encore rencontrés/ ne nous connaissons que de vue/ nous adorons carrément/ ne nous sommes pas vus depuis bien trop longtemps/ partageons un quelconque lien familial/ ne nous rencontrerons jamais mais, j’en suis sûr, penserons néanmoins toujours l’un à l’autre avec affection…
celui-ci est pour vous, avec vous savez quoi, et pour des raisons que vous connaissez sans doute.”

neil gaiman anansi boys image

Editions J’ai Lu
379 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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