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Northanger Abbey – Jane Austen

Northanger Abbey (traduit par L’Abbaye de Northanger) est le premier roman que Jane Austen ait terminé d’écrire. La publication du roman est une histoire bien tumultueuse, entre le moment où Jane Austen finit de l’écrire en 1803 et le moment où il est publié de façon posthume en 1817. Le manuscrit, prêt à être publié, est acheté pour dix pounds par la maison d’édition Benjamin Crosby & Co. mais n’est jamais publié, pour des raisons inconnues car l’éditeur n’a jamais donné d’explication à Jane Austen lorsqu’elle leur en a demandé, six ans après leur avoir envoyé son roman. Jane Austen finit par racheter son manuscrit au même prix et le retravaille pour tenter à nouveau de le publier. Elle change notamment le nom du personnage principal qui, de Susan, devient Catherine. Ce changement entraîne le changement du titre du roman et Susan devient Northanger Abbey.

Si vous avez déjà entendu parler de ce roman, vous savez qu’il s’agit d’une parodie des romans gothiques qui connaissaient un immense succès à l’époque grâce à la maison d’édition anglaise Minerva Press.

Cependant, avant de commencer à vous dévoiler avec quelle finesse et vivacité Jane Austen parodie les romans gothiques populaires à l’époque, il semble judicieux de distinguer les romans gothiques du XVIIIème siècle et ceux de la fin-de-siècle (fin du XIXème siècle) En effet, Jane Austen n’a pas lu Dracula ou L’Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, ne vous attendez donc pas à une énième parodie de romans de vampires. Jane Austen s’adresse aux premiers romans gothiques. Isabella, l’amie de Catherine, en fait la liste dans ses conseils de lecture : Castle of Wolfenbach d’Eliza Parsons, Clermont de Regina Maria Roche, The Orphan of the Rhine d’Eleanor Sleath… Ce ne sont que quelques exemples des septs romans que toute amatrice de romans gothiques se doit de lire (et voilà votre humble narratrice qui reconsidère sa vie entière parce qu’elle ne les a pas tous lus), en plus des vedettes du genre, Le Moine de Matthew Lewis et le sublime The Mysteries of Udolpho d’Ann Radcliffe.

Ce gothique-là ne se déroule pas dans les rues sombres de Londres ou dans la campagne anglaise où les personnages apeurés peuvent voir arriver les navires d’étranges contrées chez eux. Ce gothique-là se déroule dans les châteaux de ces contrées lointaines, comme le sud de la France ou l’Italie, où des jeunes filles fuient des nobles tyranniques et se perdent dans des labyrinthes souterrains et sont enfermées dans des caveaux. Il n’y a pas de monstres dans les romans d’Ann Radcliffe sinon les hommes, humains dans leur cruauté, qui tourmentent l’héroïne. Ce sont ces romans gothiques que Jane Austen parodie, donc ne vous attendez pas à des vampires ou d’autres créatures de ce genre.

Vous n’avez pas besoin d’avoir lu Les Mystères d’Udolphe pour comprendre Northanger Abbey  mais le roman devient mille fois plus amusant quand vous pouvez dresser tous les parallèles avec des détails très précis du roman d’Ann Radcliffe. Par exemple, la mystérieuse liasse de papiers que Catherine trouve dans un des tiroirs à l’abbaye de Northanger est une référence à une autre mystérieuse correspondance que l’on retrouve dans Les Mystères d’Udolphe. Le parallèle entre l’importance de cette dernière correspondance et la liasse de papiers que Catherine trouve est encore plus drôle si vous avez lu le roman d’Ann Radcliffe.

De même, le titre du roman, Northanger Abbey, est un clin d’oeil aux romans gothiques qui semblent tous porter le nom du château dans lequel l’intrigue se déroule, comme Udolphe qui est le nom du château de Montoni où Emily (l’héroïne du roman d’Ann Radcliffe) est retenue prisonnière, ou comme le tout premier roman gothique, Le Château d’Otrante d’Horace Walpole… Le fait même que l’abbaye en question n’apparaisse pas avant le vingtième chapitre (le roman en compte trente) est une référence très fine et pointue à la structure des Mystères d’Udolphe où Emily n’arrive au château qu’après près de trois cent pages. Jane Austen, cela ne surprend personne, porte un regard incroyablement fin et perspicace sur les romans gothiques et aucun détail ne semble jamais lui échapper.

Cependant, si vous ne savez pas par où commencer, entre Les Mystères d’Udolphe et Northanger Abbey, si vous avez peur de ne pas apprécier Ann Radcliffe sans avoir lu Jane Austen ou vice versa, ne vous inquiétez pas, votre humble narratrice a tranché la question après des jours de débats intérieurs (vraiment des jours) et a d’abord lu Northanger Abbey, l’a trouvé très amusant grâce à sa connaissance d’autres romans gothiques et, maintenant qu’elle lit le roman d’Ann Radcliffe, trouve le roman de Jane Austen de plus en plus drôle à rebours. Si vous adoptez l’autre méthode, votre humble narratrice sera ravie de savoir ce que vous en avez pensé.

Mais revenons à Northanger Abbey lui-même. Catherine Morland est une jeune fille qui n’a strictement rien d’une héroïne de roman : elle préfère courir en plein air, salir ses vêtements et faire du sport plutôt que d’étudier ou de cultiver des talents considérés comme plus féminins (talents qu’Emily cultive), elle n’est, par exemple, pas très douée en dessin et elle n’a aucun talent pour la musique. Enfin, elle est assez jolie sans être d’une beauté exceptionnelle comme une héroïne de roman.

Cela ne l’empêche pas, cependant, de se prendre de passion pour les romans qu’elle trouve dans la bibliothèque familiale et qu’elle dévore encore et encore jusqu’à prendre la décision de devenir elle-même une de ces héroïnes qu’elle admire tant. La voilà donc s’entraîner à devenir l’héroïne parfaite, entraînement qui inclut la mémorisation de citations qui pourraient lui donner courage alors qu’elle affronte des vicissitudes de la calme vie de campagne anglaise… Mais il manque un ingrédient essentiel à Catherine : un prétendant.

Arrive alors l’opportunité de visiter des amis de ses parents à Bath, une ville de plaisance où de nombreux jeunes gens se rencontrent lors de soirées dans de grandes Salles, opportunité que Catherine saisit immédiatement. Elle y rencontre des amis de son frère aîné, notamment Isabella Thorpe qui partage sa passion pour les romans gothiques.

Si votre humble narratrice se permet : Isabella et Cathrine sont des fangirls de romans gothiques.

Et c’est un des points qui interpèle le plus, sans vraiment surprendre : ces deux jeunes filles, délicates, pleines de magnifiques idées sur l’amour, les prétendants et, en ce qui concerne Isabella, incroyablement vaines, sont passionnées par des romans absolument cruels et barbares. Le Moine, par exemple, inclut un enlèvement, des viols, l’enfermement d’une jeune nonne innocente avec des cadavres en putréfaction, l’un de ces cadavres étant son bébé, le lynchage d’autres nonnes par une foule en colère, de l’inceste, encore plus de descriptions très graphiques de cadavres monstrueux grouillants d’insectes (qui semble être un topos des romans gothiques)… Isabella mentionne même une jeune fille tout à fait charmante et adorable qui ne peut pas s’arrêter de lire ces romans. Beaucoup de personnes semblent oublier que les jeunes filles constituent une très grande partie des fans de l’horreur et ce, apparemment, depuis le XVIIIème siècle.

On peut donc voir en Catherine et Isabella de jeunes demoiselles pas assez cultivées pour apprécier la “vraie littérature” (nous reviendront sur ce point) parce qu’elles rêvent de princes charmants et d’aventures, mais il est important de se souvenir que les aventures dont elles rêvent incluent des actes tout à fait monstrueux.

Le personnage d’Isabella Thorpe est un des personnages les plus drôles du roman (et peut-être un des personnages les plus remarquables de Jane Austen) Par son hypocrisie totale, son mélange de rêves d’amour et de rêves de position sociale, sa vanité qui semble sans limite et son goût pour les romans atroces, elle est incroyablement amusante à lire !

Une des raisons pour lesquelles Northanger Abbey est un roman absolument fascinant à découvrir est cette dualité de lecture que l’on y retrouve. Catherine Morland lit la situation comme un roman gothique et observe ses rencontres à travers le prisme du roman gothique et le lecteur lit Catherine Morland lire ces situations tout en ayant le sens critique (certes très fortement guidé par le narrateur) de ne pas se laisser aveugler par les topoï des romans gothiques qu’il connait aussi. Lorsqu’ils sont dévêtus de leur rôle de personnage de roman gothique, les personnages que Catherine rencontre n’ont plus rien de personnages de roman, ce qui est assez ironique puisque, pour le lecteur, ils sont encore des personnages de roman.

Catherine Morland, cette héroïne de la méta-fiction, est une Madame Bovary, est une Don Quixote du roman gothique. Heureusement pour nous, Jane Austen ne réserve pas à sa non-héroïne un sort aussi tragique que celui d’Emma Bovary. En effet, comble du comble, c’est à la mystérieuse abbaye de Northanger que Catherine va voir se déconstruire ses illusions…

L’autre aspect romanesque que Jane Austen déconstruit est l’histoire d’Henry Tilney et de Catherine Morland qui échappe à tous les clichés de l’histoire d’amour auxquels Catherine s’attend. Jane Austen prend l’anti-climatique à un tout autre niveau pour le rendre encore plus intéressant que le climax auquel le lecteur s’attend. Mais votre humble narratrice vous laissera découvrir le roman par vous-mêmes.

Pour conclure, Northanger Abbey est un roman d’une finesse et une délicatesse qui font de Jane Austen une romancière tout à fait exceptionnelle au sens de l’humour tranchant, comme personne n’en doutait. Il s’agit d’une déclaration d’amour pour le roman, genre qui n’était pas du tout pris au sérieux à l’époque. De plus, même si la traduction de Pierre Arnaud est très juste et fidèle, Northanger Abbey est un roman facile à lire en anglais et peut être un bon début si vous souhaitez vous lancer.

L’image de couverture est tirée de l’adaptation du roman du réalisateur anglais Jon Jones, diffusé en 2007. Vous pouvez y voir Catherine avec sa copie des Mystères d’Udolphe.

308 pages
traduction de Pierre Arnaud
éditions Gallimard

 

À propos Anne-Victoire

Chroniqueuse

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