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Sébastien Perez & Benjamin Lacombe- Frida

Une couverture tissée, aux couleurs chatoyantes. Au milieu des fleurs aux teintes sanglantes un visage sévère nous fixe: sourcils unis, bouche écarlate, yeux empreints de mélancolie et de détermination… c’est Frida, la grande Frida Kahlo qui reprends vie sous les doigts de Benjamin Lacombe et de Sébastien Perez.

Autour de neuf thématiques chères à Frida Kahlo, le duo se glisse dans sa peau fissurée; l’accident, la médecine, la terre, la faune, l’amour, la mort, la maternité, la colonne brisée et la postérité sont les phases clés de l’existence de cette figure emblématique. Tout en découpe, en jeux de plein et de vide, les images défilent et se complètent. Faisant écho à la vie à la fois riche et tragique de cette immense peintre mexicaine, ce livre est un merveilleux hommage autant au niveau du texte que de la performance graphique.

 

Tout commence par son accident qui a bouleversé sa vie à jamais: la petite Kahlo, son corps transpercé de part en part par une tige métallique voit son destin brisé comme sa colonne, comme son enveloppe charnelle. Elle souffrira toute sa vie des séquelles de ce terrible jour « Il y a peu (…) j’étais une petite fille qui marchait dans un monde de couleurs (…). Tout n’était que mystère (…) A présent, j’habite une planète douloureuse, transparente, comme de glace, mais qui ne cache rien. »
Elle commence à peindre pour tuer ce temps qui s’effiloche et peu à peu ces couleurs et ce média deviennent sa thérapie, son échappatoire. Au milieu du mouvement surréaliste du XXème siècle, elle rencontre un franc succès mais mettra un point d’honneur à souligner que ce qu’elle peint ne se passe pas dans ses rêves mais bel et bien dans son quotidien.

Sa vie amoureuse est rythmée par ses voyages, hommes et femmes font soupirer son coeur car ce n’est pas uniquement le dehors qu’elle perçoit, mais la dimension de l’âme. Cependant son seul et unique amour restera Diego Rivera, lui-même artiste peintre réputé. Leur histoire sera aussi passionnelle que compliquée et sera également un sujet majeur dans l’oeuvre de Frida: la vie ne lui épargnera ni les douleurs physiques ni celles du coeur.

« Blanc. Les pluies ont effacé les couches qui camouflaient les rugosités de notre bonheur. Le soleil accentue la pâleur de ma peau. Mon regard s’éclaircit. « (…) Je cueillerai de toutes petites fleurs (…) si nombreuses qu’elles formeront un petit jardin sur ton coeur- couleur terre humide. » 

Entourée de ses animaux chéris (singes-araignées et itzcuintlis, perroquets et faon), elle passera de nombreuses années à la Casa Azul, qui l’a vit naitre et mourir. Elle célébrera la Terre, sa foi en la vie et en l’humanité: « Sentir dans ma propre douleur la douleur de ceux qui souffrent et puiser mon courage dans la nécessité de vivre pour me battre pour eux ».

 

 

Sébastien Perez parle à travers sa bouche, puisant dans les correspondances que la madone mexicaine a laisser derrière elle en plus de ses tableaux, afin de restituer au plus proche ce qu’a été sa vie et le fleuve de ses pensées. Phrases courtes, rythmées, pleines de poésie. Pas besoin d’un style ampoulé pour parler de Frida, bien au contraire: aller à l’essentiel, être franc dans sa syntaxe, voilà le chemin qu’a judicieusement emprunté l’auteur. Et la magie opère, tenant sur le fil ténu de l’équilibre parfait entre le verbe et l’image. Ponctué par des couleurs: bleu, gris, blanc, rouge, par les éléments naturels et par la sève qui emplit chaque chose, ce texte nous plonge dans une lecture magnifique et mystique.

“Je porte en moi son passé. A jamais je conserverai sa douleur, celle de mon accouchement. Gris. Les arbres ont perdu leurs feuilles et l’herbe est sèche. Comme une allumette embraserait ce décor aride, ma main a obtenu le pouvoir de les fleurir de couleurs éclatantes. Pleine d’espoir. Rouge. J’ouvre mon coeur à cette nouvelle vie.”

 

Une nouvelle fois, Benjamin Lacombe se surpasse et illustre de ses gouaches éclatantes, à la fois pleines de vie et de mort, le vie tourmentée de Frida. Reprenant certaines de ses peintures mythiques, il s’immerge pleinement dans la démarche créative qui a ponctuée le quotidien de cette grande dame. Ses illustrations sont à la hauteur de l’oeuvre de Frida, ce qui n’est pas rien, loin de là!
Grâce à son trait caractéristique, ses personnages à la fois enfantins et très graves, sa maitrise de la mise en page et sa palette de couleurs chatoyantes, tout en contraste et en complémentarité, il offre une nouvelle lecture plus personnelle à son oeuvre et à sa philosophie.

Les peintures pleines pages se succèdent et se juxtaposent grâce à un fin jeux de découpe: une image a du sens à elle seule, mais prend également une autre dimension lorsqu’elle vient se superposer aux suivantes. A la manière du déroulement d’une vie, où un acte présent prend de l’ampleur dans l’avenir et vient puiser sa raison d’être dans le passé.

En fin de volume, on retrouve «Une Frida », texte de Benjamin Lacombe où il explique la manière dont il a souhaité rendre hommage à cette artiste et à l’aura qu’elle dégageait aussi bien pendant son parcours créatif que lors de toute sa vie durant, ainsi que l’immense empreinte qu’elle a laissée derrière elle.

Frida est un album puissant et vibrant, qui permet de redécouvrir cette grande artiste à travers les yeux et pinceaux de deux figures contemporaines.
On y sent le sable cuisant du Mexique, ses traditions ancrées proches de la nature et de la mort. La faune et la flore de ce pays explosent de toute part, de même que l’art de Frida et celui de Lacombe et Perez.
Il peut être une première approche désignée à un public plus jeune, permettant de toucher du doigts l’univers fourmillant et si particulier de l’artiste, mais également un objet à posséder, à lire, relire, à feuilleter sans cesse pour les amateurs de belles choses. Car étant à la fois coloré, soigné et émouvant, ce livre est tout simplement beau. Beau à couper le souffle.

 

Editions Albin Michel
76 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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