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Jehan Rictus

Jehan Rictus et Gaston Couté

Une introduction à la poésie prolétarienne : Jehan Rictus et Gaston Couté

 

Parler de poésie, c’est éveiller dans l’inconscient collectif l’image du poète larmoyant tournant des métaphores complexes pour épancher ses émotions. Certains penseront aussi aux jeux oulipiens ou aux textes impénétrables de Mallarmé. D’autres encore à leurs textes adolescents vite écrits et vite oubliés.
Il fut des poètes, et des grands, qui vinrent du peuple, pour parler des misères de la vie. Sans éducation, sans respect des conventions, sans recherche de la beauté, mais au plus près du réel.

La littérature prolétarienne, et plus particulièrement la poésie, ne s’encombre pas de ce voile pudique mis en place afin de ne pas malmener le lecteur. Écrite par des travailleurs n’ayant souvent pas eu accès à l’école, elle raconte le quotidien d’une époque, avec son phrasé, et ses sincères vérités.

« Et pis contemplons les Artisses,
Peint’s, poèt’s ou écrivains,
Car ceuss qui font des sujets trisses
Nag’nt dans la gloire et les bons vins !

Pour euss, les Pauvr’s, c’est eun’ bath chose,
Un filon, eun’ mine à boulots ;
Ça s’ met en dram’s, en vers, en prose,
Et ça fait fair’ de chouett’s tableaux ! »

Dans son recueil « Les soliloques du pauvre » Jehan Rictus raconte la vie populaire dans les villes, les errances d’un homme sans domicile ni travail, le temps passé à mendier et à se moquer des bourgeois. Ses personnages : des prostituées, des cambrioleurs, des ouvriers et des enfants des rues. Prophète d’une horde de crève-la-faim et de va-nu-pied, il déroule ses vers dans l’argot de Paris. Un langage tronqué, malmené, mais dont l’origine et la destination ne se cachent pas. Une littérature qui se passe des élites intellectuelles de son époque.

« – Ohé là-bas ! bourgeois qui passe,
Arrive ici que je t’embrasse ;
T’es mon frère que je te dis
Car, quoique t’as de bieaux habits
Et moi, des hardes en guenille,
J’ont tous deux la même famille

– Ohé là-bas ! le gros vicaire
Qui menez un défunt en terre,
Les morts n’ont plus besoin de vous,
Car ils ont bieau laisser leurs sous
Pour acheter votre ieau bénite,
C’est point ça qui les ressuscite… »

Tandis que Rictus se cantonne à la ville, Gaston Couté, lui, raconte la campagne. Poète et chansonnier, il écrit parfois en patois beauceron, parfois en argot. Fils de meunier, ayant arrêté l’école très tôt, il raconte son quotidien avec une verve et un humour décapant : L’opposition entre les nobles chrétiens et les travailleurs communistes, les conscrits prêts à partir pour la guerre, et les ajournés ou exemptés, comme Couté, qui eux n’y iront pas, les disputes au sujet du bornage des parcelles…

Leur langue, qu’elle soit parisienne ou argotique, est un parler fait pour l’oral et non pour être couché sur papier. C’est une manière de refuser la poésie classique et son lot d’académiciens, de lutter contre l’institution scolaire et la loi Jules Ferry. Emmenant le français d’usage dans les campagnes, cette loi de 1880 crée un fossé entre les générations. On ne parle plus à la maison comme l’on parle à l’école. Pour Couté, l’école est un des piliers du système qu’il entend combattre, car elle insuffle la peur et la soumission à l’autorité.

Iconoclaste dans les thèmes et les formes, la « chanson sociale » se réapproprie un certain héritage incarné par des poètes comme François Villon ou Tristan Corbière. Se moquant volontiers de l’ordre et du pouvoir, ils chantent un quotidien qui est le leur et celui de toute une classe sociale. C’est une poésie de révolte qui marque sa différence et son refus de la mondanité.

Cette poésie, loin de s’éteindre, s’est transmise à d’autres tel Prévert en son temps. De nos jours, elle demeure extrêmement vivace dans la chanson française ou le rap, transmettant une rage de vivre et de marteler la langue pour mieux exprimer le vécu.

« Je veux pus êt’ des Écrasés,
D’ la Mufflerie contemporaine ;
J’ vas dir’ les maux, les pleurs, les haines
D’ ceuss’ qui s’appell’nt « Civilisés » !

Et qu’on m’ tue ou qu’ j’aille en prison,
J’ m’en fous, j’ n’ connais pus d’ contraintes :
J’ suis l’Homme Modern’,qui pouss’ sa plainte,
Et vous savez ben qu’ j’ai raison ! »

Les soliloques du pauvreLes soliloques du pauvre (extrait 1 et 3)
Jehan Rictus
Edition Au diable Vauvert
218 pages

 

 

 

 

Le gâs qu'a mal tournéLe Gâs qu’a mal tourné (extrait 2)
Gaston Couté
Edition le temps des cerises
166 pages

À propos Paco

Chroniqueur

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