« Je suis le meilleur commissaire-priseur au monde, mais personne ne le sait parce que je suis une homme du genre discret. Je m’appelle Gustavo Sanchez Sanchez, toutefois les gens m’appellent Grandroute, avec affection, je crois. Après deux rhums, je suis capable d’imiter Janis Joplin. Je sais interpréter les devises des fortune cookies chinois. Je peux faire tenir un œuf droit, comme Christophe Colomb dans l’anecdote fameuse. Je sais compter jusqu’à huit en japonais : ichi, ni, san, shi, go, roku, shichi, hachi. Je sais faire la planche »
Second roman de Valeria Luiselli, après « Des êtres sans gravité » ( Actes Sud, 2013), « L’histoire de mes dents » est né d’un projet inédit et original pour l’auteure. Suite à une commande de texte par une galerie d’art à Ecatepec sur les « passerelles », du moins l’absence de « passerelles » entre l’œuvre d’art exposé, la galerie et le contexte plus général dont fait partie la galerie. Cette collection, appartenant à l’entreprise de jus de fruit Jumex, va être le déclic pour l’auteure. Il y a un faussé entre l’art et l’usine, alors comment unir ces deux univers en un seul ? Comment créer une singularité à partir de ces deux mondes quasi antonyme ? Et comment la littérature peut être le maillon d’unification ?
Se rappelant qu’à Cuba il existait un métier atypique mais essentiel pour les manufactures de tabac, celui de lecteur, l’idée va finir de germer et apporter l’élément moteur à son dernier texte. Afin de rendre le travail plus attrayant, il y avait un conteur qui lisait à voix haute pour les employés de l’usine… Valeria Luiselli va avoir le même principe pour la création de « L’histoire de mes dents ». Le roman est écrit en sept parties, qui sont autant de feuilletons qu’un tout dans sa globalité. Ces feuilletons on été envoyés aux employés de Jumex et lu à haute voix, en échange elle recevait des retours audio, des appréciations et critiques de la part des employés et après avoir pris note, elle écrivait la suite. Un roman qui a été construit pas pour les employés, mais avec ces derniers. Un moyen d’unifier l’art et l’usine à travers des mots.
Gustavo Sanchez Sanhez est un personnage atypique, un physique quelconque, une vie presque ordinaire, à vingt et un an il devient le gardien d’une usine. Une routine bien huilée. Gustavo à tout de même une particularité, ses dents, du moins sa bouche offre une dentition très particulière et peu harmonieuse. Alors quand il apprend qu’un jour un romancier s’est fait refaire les dents grâce au succès de son livre, il décide de se prendre en main et de changer tout ça. Devenant, suite à une petite annonce, commissaire-priseur, il va tomber sur ses nouvelles dents, magnifique lot, et revendre les siennes aux enchères en racontant une histoire particulière pour chacune d’entre elle. Car voyez-vous l’art de la vente aux enchères n’est pas de valoriser l’objet mise en vente pour ce qu’il est, mais de le valoriser par l’histoire qu’il y a autour. Ses dents deviennent celle de Platon, Montaigne, Borges, Saint-Augustin…
Mais la présence de son fils Siddharta, va venir perturber tout ça, ce dernier étant là pour acheter son père.
De part sa genèse, sa construction et le rendu final, ce roman représente bien plus qu’un simple divertissement. Mélangeant les styles, les formes ou encore s’appropriant des univers d’autres auteurs, nous sommes face à une œuvre courte mais dense. Il y a de la métafiction, du documentaire et un brin de folie dans « L’histoire de mes dents », C’est burlesque et prenant, richement documenté et presque aussi tordu qu’un Don Quichote chez Cervantes. Valeria Luiselli signe ici un texte original et marquant!
Éditions de l’Olivier,
Trad. Nicolas Richard,
190 pages.