Accueil » Actualité » Interview éditeur : Agullo
Équipe Agullo Éditions

Interview éditeur : Agullo

Fondée il y a un peu plus d’un an, la maison Agullo possède déjà un beau catalogue que nous avons eu plus d’une fois l’occasion d’explorer. Des brumes du Pô à l’Installation de la peur en passant par les plumes de la harpie, les monstres fantastiques de Maria Galina, la fantaisie urbaine de Browne et tout récemment l’Espace lointain… autant d’œuvres qui nous ont largement donné envie d’en savoir plus. Pour notre plus grand plaisir, Nadège Agullo s’est très gentiment prêtée au jeu des questions-réponses.

1- Pouvez-vous nous raconter votre parcours dans l’édition et la genèse de la maison Agullo ?

Je suis arrivée dans le monde de l’édition après des études de droit à Bordeaux puis passages plus ou moins longs chez les éditeurs parisiens Stock et Grasset, puis chez un éditeur londonien Carlton Books pendant une dizaine d’années où j’ai pris la voie spécifique des droits étrangers. J’ai beaucoup voyagé à ce moment-là pour le travail et le plaisir un peu partout en Europe et ailleurs.

En 2008 passage obligé à Paris où j’ai travaillé trois ans chez Michel Lafon, toujours aux manettes des droits étrangers. En 2011, retour à Bordeaux où je passe les 4 années suivantes à imaginer, co-fonder et développer la maison d’édition Mirobole ; en 2015 une discussion s’entame avec Estelle Flory rencontrée chez Michel Lafon, Sébastien Wespiser rencontré à Paris quelques années auparavant et Sean Habig avec qui je travaillais depuis plusieurs années déjà et donne naissance à Agullo Editions en 2016. Chacun ayant une belle expérience dans le monde du livre et partageant une vision commune, nous sommes tous en charge d’un pôle précis : Estelle sur l’édito, Séb sur la direction commerciale, Sean sur le graphisme et moi un peu sur tout, le choix des titres se faisant de concert.

2- Vous ne publiez que des contemporains, parfois il s’agit d’un premier roman (comme Saad Z Hossain ou Magdalena Parys), beaucoup sont déjà primés pour leurs œuvres (Rui Zink, Joe Meno, Maria Galina par exemple). Comment faites-vous pour découvrir ces textes, pour la plupart inconnu en France ?

Nous avons établi des relations de confiance avec des éditeurs, agents, traducteurs et des lecteurs qui nous qui ont identifié les genres que nous affectionnons, nous pouvons aussi découvrions des auteurs par le biais de recherche internet ou par recommandation d’autres auteurs ou d’amis vivant à l’étranger.

C’est un travail de longue haleine mais tellement gratifiant !

3- Pour l’instant vous ne publiez que de la littérature étrangère. Avez-vous la volonté de publier aussi de la littérature francophone ? Vous privilégiez des littératures peu connue (Moldave, Portugaise, Bengali…) quels horizons souhaitez-vous ajouter à votre catalogue ?

En tant qu’éditeur français nous pensons qu’il est de notre mission de publier des auteurs français, nous publierons d’ailleurs notre premier texte français La guerre est une ruse de Fréderic Paulin au printemps 2018, texte ambitieux (plusieurs volumes) qui raconte, à travers des personnages fictifs et réels, l’émergence du djihadisme en Algérie dans les années 80 jusqu’aux attentats qui ont ensanglanté la France de la fin du 20ème à nos jours. Une grande fresque historique noire qui nous permet de comprendre un peu plus en avant la complexité culturelle de notre France contemporaine. Cette fiction à consonance géopolitique, correspond tout à fait aux textes que nous aimons publier, parce que ‘il nous permet de nous resituer dans un contexte historique, politique et social.

Effectivement nous aimons proposer des littératures issues de territoires un peu plus confidentiels, la littérature est un formidable moyen pour découvrir un pays ou une culture!

4- Vous laissez, sur votre site, la parole à vos traducteurs qui ont pour la plupart une biographie et qui racontent leur rapport à la langue et leur méthode respective de travail. Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous travaillez avec eux, mais aussi sur les échanges qu’il peut y avoir entre traducteur et auteur ?

La relation avec le traducteur est très importante, c’est Estelle au sein de l’équipe qui fait ce travail en collaborant sur ce travail du texte avec le traducteur puis avec le correcteur. Elle entretient une relation très étroite avec ces derniers, en améliorant la traduction tout en respectant le texte original et toujours en collaboration avec eux.  Le traducteur est un acteur essentiel pour transmettre ce que l’auteur a voulu dire et comment il a voulu le dire. La première chose à faire lorsque nous avons choisi le traducteur c’est de lui donner la possibilité de contacter l’auteur, il est sain que le traducteur pose des questions à l’auteur par rapport au texte qu’il traduit, et cela rassure également l’auteur !

5- Dans le catalogue Agullo se trouve côte à côte du polar, de la fantasy, de la littérature blanche, de la science-fiction. Malgré une collection Agullo noir, ces différents genres ne sont que très peu différenciés au sein du catalogue. D’où vient cette volonté de décloisonner les genres ? Avez-vous le sentiment que vous amenez un public différent à lire de la littérature dite de genre ?

Notre intention d’ « abolir les frontières » se reflète dans le caractère hybride de certains de nos textes, le dénominateur commun de nos livres c’est cette envie de découvrir l’autre, c’est ce qu’un texte peut nous dire du Monde, quel que soit le genre littéraire emprunté. Par exemple dans le roman d’aventure russe L’Organisation, l’élément fantastique est intégré au fond historique très réaliste de la stagnation économique brejnévienne de la fin des années 70, ce qui donne au final un titre exigeant mais génial ! Comment le système soviétique ultra rigide parviendra-il à gérer un monstre débarquant d’Amérique du Nord (de surcroit), à la veille des JO de Moscou ? Au-delà du thème fantastique, l’auteur apporte de façon subtile et très fine une dimension historique, politique et sociale au récit.

Nous cherchons donc à amener les lecteurs à sortir de leur zone de confort en les amenant à lire des livres qu’ils ne liraient pas d’habitude que ce soit au niveau des genres littéraires ou des territoires.

6- Agullo se distingue notamment par une charte graphique particulièrement soignée et originale. Pouvez-vous nous dire comment vous avez mené cette réflexion avec Sean Habig et en quoi elle reflète l’esprit de la maison ?

Oui, fidèles à notre intention d’abolir les frontières, nous souhaitions décloisonner les formes artistiques, notre identité visuelle emprunte à l’art photographique car chacune de nos couvertures propose un photogramme unique que Sean créé en studio, la typo est empruntée au cinéma (elle rappelle la typo utilisée pour le sous-titrage des vieux films américains des années 50). Comme pour le choix de nos titres, nous souhaitions également sortir des sentiers battus en proposant une charte graphique différente mais reconnaissable entre toutes.

7- Vous publiez depuis à peine plus d’un an et pourtant, votre catalogue compte déjà 11 titres, deux prix littéraires, un titre racheté en poche par Point… Et une maison d’édition déjà remarqué et apprécié par de nombreux lecteurs et libraires. A quoi attribuez-vous ce beau succès ?

Merci ! Nous avons rencontré pour le moment ce qu’on pourrait appeler un succès d’estime, avec un beau début de reconnaissance par les acteurs du livre et également par nos pairs, mais le chemin est encore long… A nous de toucher un public plus large et de conquérir jour après jour de nouveaux lecteurs. On y travaille (dur 😉 ! Nous souhaitons établir des ponts avec nos lecteurs, par exemple en leur permettant de rencontrer nos auteurs en France; les auteurs de notre catalogue sont tous porteurs d’une histoire, culture qui leur est propre, aussi il est primordial que les lecteurs français puissent échanger avec eux.

8- Vos livres sont tous profondément politique, du Blues de la Harpie à l’Installation de la peur, en passant par Bagdad ou L’organisation. Vous écrivez, en présentation de votre maison, que vos livres tentent de lutter contre la peur et l’ignorance. Pensez-vous que le travail d’un éditeur soit politique ?

Tout à fait ! Nous éditeurs, ne sommes que les diffuseurs de la pensée d’un auteur. Dans ce cadre il nous semble important de publier des auteurs qui ont quelque chose à nous apprendre sur le monde qui nous entoure, proposant au lecteur de s’interroger, d’apprendre quelque chose ou de découvrir un nouvel angle de vue sur un sujet déjà connu par exemple.
Que nos titres soient bangladais, roumains, russes, portugais ou américains, tous ont en commun d’apporter un regard sur la société d’ici ou ailleurs, que ce soit par le prisme du noir, de l’humour, ou même du fantastique, c’est en ce sens que nos livres pourraient être qualifiés de « politique » au sens grec original développé par Aristote : « le fondement de la manière dont nous pensons les rapports des hommes entre eux, et plus généralement le monde des choses humaines. »

9- Quels conseils pourriez-vous prodiguer à ceux qui souhaitent se lancer dans l’édition indépendante ?

Alors ça dépend si c’est pour le fun ou si c’est une entreprise commerciale 😉 pour viser l’entreprise commerciale (càd avoir un diffuseur de portée nationale) il faut avoir un projet bien défini, original, être tenace et travailler dur, garder un travail rémunéré à côté si possible est également important en sachant que rares sont les éditeurs qui peuvent se payer les premières années.

10- Dans les titres à venir on trouve notamment un titre polonais de Magdalena Parys, un lituanien de Jaroslav Melnik et un nouveau SG Browne pouvez-vous nous parler de ces futures publications ?

Un vent de liberté soufflera sur la rentrée Agullo…

Le 31/08/2017 sortie d’Espace Lointain de l’ukraino-lituanien Jaroslav Melnik pour lequel Andreï Kourkov nous a fait l’honneur d’écrire un avant-propos,  roman mi-dystopique, mi conte philosophique : dans un monde d’aveugles, un homme recouvre la vue et découvre la misère du monde dans lequel il vit… Une ode à la vérité et la liberté, un livre qui a inspiré de nombreux ukrainiens pendant la révolution de Maïdan en 2014.

Le 07/09, 188 mètres sous Berlin, un roman chorale en partie d’espionnage, en partie historique. Dans les années 2000, un homme ayant appartenu à l’équipe de construction d’un tunnel clandestin sous le mur de Berlin en 1980, est assassiné. Un des membres de cette équipe va essayer de comprendre pourquoi. Ce texte est avant tout un récit profondément humain. Familles brisées par les séparations, émigrées à la recherche d’une vie meilleure, secrets de familles,  amours déçue et tous subissent les manipulations politiques de l’époque.
Un travail de mémoire sur fond une d’Histoire européenne, qui n’est pas sans évoquer ce qu’il se passe aujourd’hui en Europe…

Le /10/2017 paraîtra Héros Secondaires nouveau titre de SG Browne, auteur américain extraordinaire d’humour noir et de satire sociale. Là, il combine supers héros d’un nouveau genre et critique de l’industrie pharmaceutique. Un humour noir allié à une critique sociale mordante et puis, qui n’aime pas les supers héros ?

11- Pour finir, un coup de projecteur sur un projet à venir ?

Ah difficile de n’en retenir qu’un… En plus de La guerre est une ruse, nous publions en 2018 deux nouveaux auteurs, Dmitri Lipskerov en janvier 2018 auteur du Dernier rêve de la raison, un roman qui n’a rien à envier au chef d’œuvre Maître et Marguerite de Boulgakov, puis en mai 2018 nous marquerons le 50ème anniversaire du Printemps de Prague tchécoslovaque en publiant le premier roman traduit en français d’un auteur slovaque Viliam Klimaceck qui nous permettra de revivre cet évènement à travers les destins de trois slovaques, car on a tendance à oublier que les soviétiques n’ont pas envahi que Prague en 1968 ; ils ont aussi débarqué à Bratislava…

Et nous retrouverons des auteurs tels que le lyrique Joe Meno, le politique Bogdan Teodorescu, l’impressionniste Valerio Varesi, le sombre Wojciech Chmielarz et Magdalena Parys, toujours débordante d’humanité…

Un grand merci à Nadège pour le temps qu’elle nous a accordé ! Si vous souhaitez en savoir plus, retrouvez ici toutes nos notes de lecture des parutions Agullo.

Copyright photo de couverture © Julien Lutt

 

À propos Hedia

Chroniqueuse

Vous aimerez aussi

Perrine Le Querrec Les Pistes couverture

Perrine Le Querrec – Les Pistes

Sans blanc ni respirations, les possibilités s’enchaînent en cristallisant la violence ou l’amour, épinglant l’innocence et la colère bouillonnant dans les cœurs d’Ève, Ptiotr et Tom. Ces derniers forment un écho de surfaces dépolies, comme autant d’éventualités sur lesquelles s’envoler, se décliner à l'infini et mourir, peut-être. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Powered by keepvid themefull earn money