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Aurélie Champagne Zébu Boy couverture

Aurélie Champagne- Zébu boy

8 500 kilomètres, voici la distance séparant Madagascar de la France. Deux pays aux cultures différentes, aux climats contraires mais aux histoires croisées sous le sceau du colonialisme. Une histoire dont on entend presque pas parler.

Il y a un peu plus de 20 ans, Aurélie Champagne part à Madagascar pour lever le voile sur ses racines, sur son père absent et inconnu. Elle y découvre le tabou qui règne encore au sujet de l’insurrection des Malgaches en 1947 contre le joug et la suprématie des colons français et surtout la terrible répression qui s’en est suivie et ayant entrainé prêt de 30 000 morts.
En ressort une nouvelle, qui grandira au court des années pour devenir un premier roman: Zébu Boy.

« J’ai marché en direction du Nord. Tourné un bon moment. J’étais vraiment rincé mais toujours aux aguets. Il y a les pillards et ces saletés de sangliers. Le jour était blanc, le soleil bien levé. Tant pis pour le retard. Tant pis pour le Merina.
Jusque-là, la chance m’avait plutôt souri. Je dis la chance, la chance… C’est sans doute autre chose. Quand je vois la puissance des Bomba, il y a de quoi s’interroger. Les Sénégalais de Tristani, je me les suis bouffés. Pourtant ces gars on leur fétiches aussi. Des très puissants parfois. Cette nuit, tout le monde a vu, on dira ce qu’on veut. »

Ambila est grand et fort. Les femmes tombent toutes sous son charme et les hommes semblent envoûtés par sa prestance. Il est le fils prodigue de son père, qui l’a vu « forcir » comme l’avait prédit Randrianantoandro le puissant ombiasy, et mettre à terre les bêtes les plus féroces de son cheptel lors des savikas. Il est revenu de la guerre pour laquelle il s’est enrôlé aux côtés de la Très Grande France, en vie mais sans la moindre solde, dépouillé jusqu’à ses chaussures dont il était tellement fier.

Malgré sa stature envoûtante, Ambila, dit Zébu Boy, ne croit plus en rien. Il revient humilié par un pays étranger pour lequel il a mis sa vie en danger, a vu ses frères d’armes tomber et traités comme de la vermine. Tout cela pour n’avoir aucune reconnaissance en retour, uniquement le dédain colonialiste.
De surcroît, son cher père est mort entre temps, son grand cheptel a été revendu aux plus offrants. Ainsi, Zébu Boy est le dernier à vénérer le souvenir de sa mère et à pouvoir honorer la mémoire de son père. Et pour cela, il est bien décidé à se procurer de l’argent par tous les moyens pour réunir les plus belles bêtes de l’île, afin de racheter la gloire familiale bradée et oubliée.

Presque malgré lui, il est entrainé par la révolte qui gronde et prend part au soulèvement des malgaches qui se sont vu trahis, s’attendant à l’indépendance mais se heurtant à l’indifférence totale de la France.

« Dans le secret de sa carcasse, il reconnut cette froideur, cette distance résignée qu’il pensait avoir laissée à la gare. Elle survenait chaque fois que, s’étant attaché à un camarade, il avait vu tomber au champ d’honneur. À l’instant où il rendait son dernier souffle, c’était comme si Zébu reprenait sa mise. Il en allait de Mamy et du Merina comme il en était allé des autres. De tous, à l’exception d’Amadou et de sa mère, qui étaient peut-être les seuls êtres pour lesquelles il ne ressentait pas ce froid consentement à la mort. Pour les autres, ce détachement était la seule manière qu’il ait trouvée de dépasser le chagrin de perdre des êtres chers et d’avoir à survivre sans eux. Indifférent à leur disparition, le monde continuait à tourner, certes moins amical , mais habitable malgré tout. »

Aurélie Champagne use avec intelligence d’éclipses temporelles nous ballottant entre le froid de la Meuse où Ambila a vu ses amis tomber, et la chaleur touffue de Madagascar où les siens sont transportés par les amulettes et la sorcelleries, bravant à bras le corps ces étrangers occupant leur pays.

On navigue entre l’enfance heureuse du héros aux côtés de sa mère, son adolescence auprès de son père puis sa vie d’adulte effilochée par la guerre. Zébu Boy est un survivant qui porte le poids de ses proches disparus, nourris leurs fantômes tout en essayant de donner un sens à sa propre vie.

Il est profondément humain et vrai dans le sens où il n’est pas parfait, loin de là. Prêt à tuer si il le faut pour assouvir son rêve, il n’hésite pas à duper les derniers proches qui lui reste. C’est un homme qui tente le tout pour le tout, accroché à un passé plus heureux mais déjà touché par la mort.
Pourtant il reste naïf, porteur d’espoir aussi bien que de désenchantement. Ambila incarne son île, car il a été utilisé jusqu’à un point de rupture, rejeté et oublié, comme elle. Il incarne tous les soldats étrangers enrôlés dans une guerre qui n’était pas la leur, qui ont subit le froid et la famine, la torture et l’abandon, pour finir dans une errance injuste.

Aurélie Champagne signe un premier roman parfaitement maitrisé et époustouflant par sa cadence et sa thématique. En effet, en choisissant ce sujet très peu connu et abordé, elle offre sa voix à des hommes qui ont été utilisés, humiliés et rejetés, des hommes qui ont été traités comme du bétail, de la chair à canon. Les ellipses temporelles qu’elle emploie apportent une impression de tiraillement et donnent ainsi vie aux cissions incarnées en Ambila, la triste beauté de ses souvenirs et sa survie au cœur d’un monde lui-même écartelé.
Au milieu des amulettes et des croyances ancestrales du peuple malgache jusqu’aux éclats d’obus et à l’horreur des Frontstalags, elle fait croître son personnage jusqu’à son aboutissement ultime.
Jusqu’à ce que le texte, l’homme, l’île et l’Histoire ne forment plus qu’un:  Zébu Boy.

« Parfois à ses pieds, se trouvait un tapis de fleurs. Parfois, il n’y en avait pas. Elle hésitait une seconde puis plongeait dans les branchages. Alors, je me lançais à sa poursuite, ignorant les ramures qui me zébraient les jambes, les gradins, l’épuisement, je courais. Ne la lâche pas, ne la lâche pas. Elle roulait son gros ventre entre les broussailles, les yeux perdus dans les arbres. Maman, reste s’il te plaît. Je donnais toutes mes jambes, tout ce que j’avais.
Elle riait, riait, son ventre enflait toujours. Plus un jour ne s’écoulait sans qu’elle ne s’égard. Le mal la prit bientôt au milieu de la nuit. Maman ! Mam ! J’allais beau appeler, lui crier de revenir, elle filait. Et j’étais un gamin, un petit garçon qui piaulait tout seul. »

Aurélie Champagne Zébu Boy image
Editions Monsieur Toussaint Louverture 
251 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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