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Cathie Barreau – Lettre de Natalia Gontcharova à Alexandre Pouchkine

Lors d’un soir d’hiver de 1837, Natalia Gontcharova écrit. Dans une des pièces voisines, son mari agonise des suites d’une blessure fatale, et ses râles lointains l’accompagnent.
Connue principalement comme étant l’épouse du grand poète et romancier Alexandre Pouchkine, elle prend une ampleur nouvelle, une dimension palpable et unique dans ce roman de Cathie Barreau : Lettre de Natalia Gontcharova à Alexandre Pouchkine.

Natalia couche ses pensées dans une longue lettre adressée au mourant, semblant pressée par la finalité imminente et par le besoin d’exprimer des pensées trop longtemps étouffées par le silence. Mais il ne s’agit pas d’un ultime aveu ici, puisque le destinataire ne lira sans doute jamais ces mots, plutôt une dernière main tendue qui clôt définitivement leur vie commune. On y lit le quotidien solitaire d’une femme dont les désirs sont tour à tour synonymes d’attentes et de frustrations, puis de plaisir et de découverte. On y découvre son exploration de l’autre mais surtout d’elle-même à travers l’amour avec un autre homme que son mari, ce dernier semblant oublier l’importance du romantisme et de la connexion des peaux et des esprits.

Ici, Cathie Barreau s’appuie sur des figures réelles et imagine un fragment de leur vie privée. Au travers de Natalia Gontcharova, elle soulève des questions toujours très actuelles comme le rapport au corps féminin, l’emprise qu’exerce l’homme sur celui-ci, le déséquilibre de l’accès à la liberté sexuelle… Car si Alexandre Pouchkine expire, c’est aux suites d’un duel contre Georges d’Anthès, avec qui elle l’aurait trompé. Alors que le romancier ne se prive pas de coucher à droite et à gauche, l’idée que sa femme puisse en faire de même le plonge dans une honte rageuse, accompagnée d’une notion de souillure : elle s’est offerte à un autre, s’est rabaissée. On retrouve donc cette notion de virilité, sans frontière ni attache, qui est placée en miroir à celle du dévouement attendu d’une épouse, puis poussée jusqu’à la mise à mort, la lutte pour recouvrer l’honneur masculin et revendiquer sa propriété.

De plus, en écrivant cette ultime correspondance épistolaire dans le bureau même de son époux, la jeune femme se réapproprie son entièreté, affirme son unicité. Elle devient un être unique qui ne vit plus dans l’ombre d’une figure paternaliste, maritale ou encore intellectuelle. Elle continue son cheminent vers son indépendance, commencé lors de sa rencontre avec l’homme des promenades, la découverte de l’érotisme et de la volupté, bref de sa liberté.

J’écris dans ton bureau avec ton encre et ton dernier souffle. C’est un sacrilège, on me le fait sentir. Ma place serait près de toi, épouse et mère consolante. Je ne peux pas, je ne peux plus. Mon ventre et ma poitrine vivent soudain un déchirement qui vient de très loin en moi, comme si j’arrachait enfin mon cœur englouti depuis des milliers d’années. C’est entre la joie et la douleur. Regarde combien je suis vivante quand tu ne peux plus me soumettre.

Pourtant, on ne ressent pas de haine dans ses propos, mais surtout des interrogations et beaucoup de regret, notamment celui de n’avoir pas réellement connu son époux. Il y a beaucoup d’amour qui ruissèle de ses mots, qui sont semblables au débordement de la Nera dont elle fait souvent allusion : incontrôlables et naturels.  Et comme Cathie Barreau possède une plume aérienne, très fluide, mais aussi très juste, on est comme habité le temps d’une lecture par ces pensées et par ce rythme, par ce flot écrit.

Enfin, cette sublime ré-édition de Lettre de Natalia Gontcharova à Alexandre Pouchkine est agrémentée des poétiques aquarelles de Patricia Cartereau. Des roses au rouge si profond qu’il en parait noir, égrènent le récit avec délicatesse et mélancolie. Rappelant la vie qui s’enfuit goutte à goutte du corps de l’homme qui a vécu avec fureur et empressement, ou encore la passion sensuelle d’une femme découvrant la liberté.

Un récit bref, érotique et charnel mêlant fiction et Histoire avec beaucoup d’harmonie.

Nous mourrons de la peur de nos maîtres et tu fus le miens souvent quand tu quittais la maison parce que je n’avais pas envie de toi, parce que ton sexe ne me donnait rien qui pût me prouver que j’étais un être libre et vivant. J’aurais aimé que tu apprisses à rester là et à me dire tes livres et tes espoirs, tes doutes et ta foi en moi. Je n’en étais pas digne.

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L’œil ébloui 
60 pages
 Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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