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Christine Van Acker Le peuple d'ici bas, Christine Brisset une femme ordinaire couverture

Christine Van Acker – Le peuple d’ici bas

Suite aux bombardements survenus lors de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses habitations sont en partie démolies ou totalement rasées, laissant derrière elles des milliers de sans-abris. Angers est l’une de ses villes où des familles se pressent et s’entassent dans des taudis insalubres, souffrant de la faim et du froid. L’État leur promet une vague de reconstruction prochaine contre un peu de patience de leur part. Des années après, leur situation n’a toujours pas évolué. Pire, ces hommes, femmes et enfants sont mis de côté, oublié·es et abandonné·es à leur sort. Pourtant, à quelques rues des gourbis leur servant de toits se dressent de belles et grandes maisons bourgeoises inoccupées et offrant tout le confort décent dont iels sont privé·es depuis bien trop longtemps. 

Ancienne résistante, Christine Brisset a toujours œuvré pour le bien des autres et combattu pour la justice et la dignité humaine. Née Charlotte-Antoinette Kipfer et issu d’un milieu aisé, elle va se lancer corps et âme dans la bataille de sa vie déterminée par un leitmotiv aussi simple que sisyphéen : un toit pour chaque famille. Aujourd’hui, son nom est presque tombé dans l’oubli, supplanté par celui l’Abbé Pierre dans les esprits. Pourtant, elle a porté le mouvement des Castors en Anjou, organisé près de 800 squats et permis le relogement de plus de 12 000 familles, menant un combat personnel contre la misère et se révoltant contre l’injustice écrasante et les inégalités. 

C’est en 2018 lors d’une résidence d’écriture à Angers que Christine Van Acker rencontre le chemin de Christine Brisset. Au croisement de discutions, de bribes de mots et de souvenirs se dessine alors Le peuple d’ici-bas. Dès lors, l’autrice va être habitée par l’aura de cette femme luttant pour la dignité de toutes et tous, sacrifiant sa santé et ses économies afin de sortir les plus démuni·es d’une précarité terrible.

Qu’est-ce qui me désire dans ma destinée à mon insu ? a écrit Cathie Barreau. Qu’est-ce que, moi, j’ai dû délaisser pour me consacrer à cette inconnue qui ne me lâchait plus depuis des mois, qui cherchait à se frayer un passage à travers mon écriture, comme si elle avait été informée des défaillances actuelles dans la gestion de nos sociétés, de ce qui continue d’être intolérable. Se rappelant à nous par mon entremise, elle venait donner du relief aux personnes qui, de nos jours, comme elle, à l’époque, font ce qu’elles peuvent avec ce qu’elles sont pour ravauder les déchirures sociales.

De son vivant, on l’affublait de surnoms de saintes qui l’encombrait plus qu’autre chose, on lui proposait tour à tout la Légion d’honneur puis on la menaçait de correctionnelle. Elle a été rongée par les intimidations d’emprisonnements, a croulé sous les accusations et a essuyé une cinquantaine de procès, découvrant avec horreur que Justice et Lois ne sont que trop souvent le terreau d’une vaste mascarade au service d’une poignée de privilégiés bien lotis. Afin de pouvoir y faire face au mieux, Christine Brisset apprend les textes de loi par cœur, tient bon et parvient parfois à déplacer la honte de camp, de celui des précaires à celui des nantis.

Cette biographie riche et poignante, entrecoupée de citations tirées d’archives et d’accords personnels, fait douloureusement écho à la crise migratoire actuelle. Elle unit la voix de Christine Brisset à celle de Myriam, qui est inculpée de l’aberrant « délit de solidarité » en accueillant des réfugié·es et des sans-papiers chez elle.

Myriam, toujours sans nouvelles d’Hassan, connaît, comme Christine, l’épreuve des longs interrogatoires. On l’accuse d’être complice de trafic d’êtres humains, l’un des délits les plus accablants pour elle. Elle mettra le pied sur un sol instable, dans une société dont le mode d’emploi aurait été volontairement écrit à l’envers, le bouton off devenu le bouton on, la bonté travestie en méchanceté, et le mauvais comportement porté à titre d’exemple à suivre. La Justice lui fait douter de la justesse de ses actes, sa raison vacille un peu.

Les luttes résonnent, les désobéissances entre en résonance. Christine Van Acker retrace, recueille et interroge l’ordinaire qui est en chacun·e de nous.

Christine Brisset était une femme avec ses odeurs, ses douleurs, une maîtresse de maison à la table bien dressée, une mère soucieuse de la propreté des mains de son enfant. Il avait raison, son vieux bonhomme de fils, quand il me disait qu’elle était une femme ordinaire. Ce sont les autres qui ne le sont pas. Ne devrions-nous pas, tous et toutes, trouver notre manière d’être aussi ordinaire qu’elle le fut.

Christine Van Acker Le peuple d'ici bas, Christine Brisset une femme ordinaireÉditions Esperluète
208 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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