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Dino Buzzati – Le désert des tartares

Après avoir tourné la dernière page de ce livre j’ai l’étrange sensation d’avoir été touché au cœur. D’avoir dit adieu à un chef-d’œuvre de la littérature. De devoir laisser derrière moi les sensations acquises au cours de cette lecture si dure et si implacable.

« Jusqu’alors, il avait avancé avec l’insouciance de la première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s’écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s’aperçoit de leur fuite. On chemine placidement, regardant avec curiosité autour de soi, il n’y a vraiment pas besoin de se hâter, derrière vous personne ne vous presse, et personne ne vous attend, vos camarades aussi avancent sans soucis, s’arrêtant souvent pour jouer. Du seuil de leurs maisons, les grandes personnes vous font des signes amicaux et vous montrent l’horizon avec des sourires complices ; de la sorte, le cœur commence à palpiter de désirs héroïques et tendres, on goûte l’espérance des choses merveilleuses qui vous attendent un peu plus loin ; on ne les voit pas encore, non, mais il est sûr, absolument sûr qu’un jour on les atteindra .»

Le fort Bastiani c’est la consécration d’une carrière militaire. Un fort exilé au milieu d’un désert où on y attend un hypothétique ennemi. Aux confins d’un désert aride et esseulé les jeunes recrues y voient la possibilité de devenir des légendes, d’être enfin la génération qui accueillera, l’arme à la main, les Tartares. Drogo, fraîchement sorti de l’académie militaire, perçoit dans sa mutation au fort un avenir radieux rempli de gloire. Plus les années passent et plus Drogo attends… il tente de saisir les années qui lui échappent, de freiner le temps qui impose son implacable rythme et essaye en vain de croire à l’arrivée des Tartares… Mais à quel prix ?

« Le temps passait, toujours plus rapide ; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s’ arrêter même un seul instant, même pas pour jeter un coup d’œil en arrière. ” Arrête ! Arrête ! ” voudrait-on crier, mais on se rend compte que c’est inutile. Tout s’enfuit, les hommes, les saisons, les nuages ; et il est inutile de s’agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d’un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné dans ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s’arrête jamais .»

« Le désert des tartares » est une particule littéraire terriblement pessimiste, osée et oppressante. Un moule formé par la plume enlevée et poétique de l’auteur, un carcan d’avenirs impossibles, de rêves envolés et un horizon poussiéreux où les ambitions des protagonistes s’égrainent avec le temps. Un hymne à la fuite du temps qu’aucunes mains ne peuvent saisir. Dino Buzzati nous offre en prime avec son chef-d’œuvre la possibilité de voyager à travers la solitude, aussi bien celle de Drogo que la vôtre.
Car dans une atmosphère aussi dure que celle-ci l’auteur nous force à penser que nous sommes toujours seuls… seuls face au désert de notre vie…

Dino Buzzati268 Pages
Éditions Pocket
Ludo

 

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