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Une histoire des loups, Emily Fridlund, Gallmeister, couverture Ekaterina Borner

Emily Fridlund – Une histoire des loups

Il suffit de fermer les yeux un court instant, de laisser tomber tout ce que vous êtes en train de faire. Oublier ce sur quoi vous vous affairez et ce sur quoi vous vous acharnez.

Imaginez-vous confortablement installé devant votre fenêtre, assis dans un fauteuil soyeux, sous une couverture chaleureuse. Dans vos mains, pour les réchauffer, une tasse de café.

Dehors, la neige se met à tomber, et c’est le plus beau spectacle auquel vous avez pu assister depuis des semaines. Vous arrêtez le temps et vous ne vous concentrez plus que sur ces flocons de neige qui tombent au ralenti de l’autre côté de la vitre.

Vous êtes au chaud, spectateur. Sur scène, une chorégraphie magnifique et glacée.

Et puis, tout à votre contemplation, vous vous demandez si la neige qui commence à s’accumuler au sol ne risque pas de gêner la circulation des voitures, si elle ne va pas rendre la route dangereuse. Puis impraticable.

Vous éloignez de vous ces pensées obscures. La beauté du spectacle de la neige qui tombe est plus important, il ne saurait voisiner avec des pensées négatives.

Quelle grâce ! Quel enchantement !

Tout de même, cette couverture de neige – désormais trente centimètres – n’est-elle pas en train de paralyser le monde extérieur ?

Quelle chance que vous soyez à l’abri, sous la chaleur de votre couverture, les mains blotties contre la tasse de café.

Qui commence à refroidir.

Puis la neige a atteint un mètre de haut, bloquant l’ouverture de la porte. Plus aucune voiture ne peut circuler. Vous commencez à vous sentir mal. Et s’il m’arrivait quelque chose ? Comment pourrais-je sortir d’ici ? Qui pourrait venir me chercher ?

Alors, la beauté du spectacle laisse définitivement place au danger étouffant, à la crainte de ne pouvoir échapper aux éléments. Enfermé, vulnérable, terrorisé.

Ceci pourrait être le résumé d’Une histoire des loups, d’Emily Fridlund, récemment paru aux éditions Gallmeister.

Un autre résumé pourrait être plus proche du texte. Au fin fond du Minnesota, au bord d’un lac que l’on pourrait croire bucolique, encerclé par la neige l’hiver et accablé par la chaleur l’été, Linda, une jeune fille pas vraiment bien dans sa peau, qu’au lycée on appelle la Cinglée, est prise d’affection pour Paul, le petit garçon de ses nouveaux voisins. Est prise d’affection peut-être aussi pour Patra, la mère du petit garçon. Elle sait que quelque chose cloche dans cette famille, elle en a la certitude quand débarque le père, scientiste chrétien. Pourtant, elle ne fera rien.

Dès la première phrase, on sait que l’on va assister à un drame. Le danger est là, caché, mais on préfère le reléguer le plus loin possible pour apprécier au mieux les petites beautés offertes sous nos yeux, des petits moments merveilleux que l’on peut toucher du bout des doigts sans effort. Les jeux de Paul, les rires de Patra, les gesticulations des chats.

Evidemment, c’est une erreur. Le danger ne reste jamais très longtemps caché. Son irruption terrible viendra bouleverser Linda, Patra et Paul. Et le lecteur, évidemment, qui, sous sa couverture, bien au chaud, assistera, impuissant et pétrifié, à l’inéluctable tragédie dont il devinait les prémisses.

Et puis, entrecroisées, tout au long du récit, mille pistes passionnantes. L’histoire d’un professeur pédophile. Les rapports, bien des années plus tard, de Linda avec ses parents. Ses conversations avec son amant.

Tout cela mis bout à bout, percevant les échos avec l’histoire principale, on peut essayer de deviner de quoi parle exactement ce livre. Qui sont les loups évoqués dans le titre ? Sur l’histoire de quelle famille Linda a-t-elle trop longtemps fermé les yeux ? Celle de Patra ? Ou la sienne ?

La tempête de neige est passée. Le soleil, enfin, fait fuir les flocons. Nous voilà réduits à constater les dégâts. Rien de si impressionnant ; pourtant, notre corps en tremble encore. Il est difficile de sortir indemne de l’expérience.

Ainsi de ce moment où, refermant le livre, nous restons pétrifiés par notre propre émoi. Bouleversé par la beauté, la grâce et la puissance poétique du roman. Un roman beau comme la neige qui tombe.

C’est une réussite, une réelle et totale réussite.

Une de plus dans le catalogue des éditions Gallmeister.

Une histoire des loups, Emily Fridlund, Gallmeister

Une histoire des loups

Emily Fridlund

traduit de l’anglais par Juliane Nivelt

Editions Gallmeister

297 pages

Alexandre

À propos Alexandre

Chroniqueur

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