La première photographie qui ouvre Interférences se situe sur l’île Batailleuse non loin de la maison Julien Gracq à Saint-Florent-le-Vieil où Emmanuèle Jawad fut en résidence pour concevoir ce livre. Il n’y a pourtant pas de photographies dans ce livre. Ce sont des blocs de proses poétiques, denses et dysharmoniques reproduisant l’acte photographique. Les textes vont bien au-delà d’une simple description. La poète et critique y propose une écriture parallèle à la photographie, comme venant en complément du déclenchement de l’appareil photo.
Si le début commence dans un village du bord de Loire, les séries de photographies qu’on lit dans ce recueil sont largement urbaines. Elles montrent le mouvement de la lumière parmi les immeubles et les zones d’habitations. Par ce jeu texte/image se déduit une réflexion sur le paysage urbain et les manifestations citadines. Ce sont deux réflexions qui s’appliquent dans les pages, celle de la lumière qui permet l’apparition de l’image et celle de la pensée qui déploie l’écriture.
Dans ce même élan, Emmanuèle Jawad donne une multitude de sens au verbe réfléchir. Cet acte, imprégné par la photographie, se développe par une écriture de pure image. Les phrases y sont heurtées. Cela provoque une dissonance qui élimine toute possibilité descriptive. Ce travail poétique incite plus à penser le moment de l’acte de la photographie plutôt qu’à l’image elle-même. Nous n’avons pas besoin de voir puisque les réflexions lumineuses et intellectuelles prouvent l’existence de celle-ci.
Cette absence de preuves de la pratique photographique n’éloigne en rien Interférences de son sujet. Au contraire, nous sommes au cœur de cette pratique, comme plonger dans le corps pensant du photographe. Nous pourrions dire que la lecture déclenche l’obturateur. Les photographies de ces trois séries n’existent qu’en nous, par la lecture, en happant l’écriture et en y réfléchissant les mots. L’acte poétique d’Emmanuèle Jawad est totalement objectif, nous en sommes autant les receveurs que les créateurs.
Les presses du réel / Al Dante
72p
Adrien