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Entretien avec Julien d’Abrigeon autour de Coupe courte

Julien d’Abrigeon a publié Coupe courte aux éditions Lanskine. Il y propose des poèmes simples dans une mise en page surprenante. Le poète nous parle de comment est né et se crée un tel livre de poésie.

Adrien Meignan : Ce qui saute aux yeux à la lecture de Coupe courte est la forme que prend le texte sur la page. Quel fut le moteur pour en débuter la construction ? L’idée de sa forme préexistait elle avant le texte lui-même ?

Julien d’Abrigeon : J’écris à la fois sur ordinateur et sur un carnet (un Rhodia que je prends chez Leclerc, parfois un tout petit Moleskine noir dans mon sac à dos en voyage). Et c’est là qu’est né le livre, dans cet aller-retour. Et sur des idées prises dans les notes de mon téléphone. Le prochain livre, prévu pour Quidam, était en pause, je le laissais reposer pour le réécrire, le refondre complètement et je me suis remis à écrire des poèmes pour la lecture à voix haute, à tenter des trucs au brouillon, plus visuels. Au même moment, je discutais aussi pas mal aussi avec mon ami Foray et je recherchais des petites idées à développer pour des paroles, je réfléchissais, à la suite de Sombre aux abords ou Microfilms, à l’apport des chansons, des blagues, des écritures « mineures » à la littérature. Et alors, dans mes divers brouillons, j’ai écrit deux petits poèmes (« donne le change /change la donne » et un autre). Ce qui m’a alors frappé, c’est le plaisir que j’avais à retrouver « mon » écriture.

Quand j’ai commencé à écrire, vers 1995-1998, j’avais des textes comme « Re-re », « Avec ou avec », « Celle-même » que je fais encore en lecture et qui ont fini par paraître dans P.Articule (Plaine page, 2017). Cette écriture-là, je pouvais ensuite la reproduire à l’infini et cela m’a vite posé problème, vite ennuyé. Je ne crois pas au « style » d’un écrivain. Le « style » c’est quelque chose d’intrinsèque au texte, pas à l’auteur. Et j’ai donc volontairement arrêté d’écrire ainsi pour réfléchir à des écritures différentes pour chaque projet. C’est pourquoi les écritures de Le Zaroff ou de fablab, de Pas Billy the Kid ou Sombre aux abords n’ont rien à voir. Chaque projet demande, impose une écriture. Je me suis donc toujours forcé à écrire d’une manière extrêmement travaillée, celle imposée par le livre, car là est l’écriture, le travail, le bricolage, le poëien.

Avec ces petits textes, je retrouvais cette écriture du début et a alors surgi l’idée, toute simple mais que bizarrement je n’avais jamais eu, de travailler cette écriture là, de la conscientiser véritablement, de la comprendre et donc d’écrire ainsi en pleine conscience. J’ai donc réfléchi, analysé son fonctionnement pour l’améliorer, l’enrichir, la pousser plus loin. Elle échappait ainsi au fait d’être simplement « mon » style, flou, instinctif, et devenait une caisse à outils plus efficace, signifiante.

carnet julien d'abrigeonDans mon carnet, deux pages se suivent lorsque je trouve l’idée de ce recueil. Sur la première, l’idée de refaire des textes avec cette écriture et un titre-blague à la con : « Lyrick Hunter, nouveaux vers». Soit, comme pour fablab, l’idée de s’attaquer à un angle souvent gênant pour la poésie contemporaine, au vieillot, pour ne pas le laisser aux autres. Il ne faut rien s’interdire, on peut très bien traiter des petits oiseaux, des papillons ou du printemps, l’important, c’est l’écriture de cela : comment travailler cela aujourd’hui.

Page suivante, je trouve le titre, Coupe courte qui est programmatique : travailler la coupe en poésie. Réemployer mes vers très courts du départ mais surtout pas de façon simplement graphique, décorative. Un vers d’une syllabe, se doit d’être un vers, pas un simple retour à la ligne pour un effet visuel insignifiant. Le retour à la ligne devient une coupe, au sens fort de la versification.

Carnet 2 Julien d'abrigeon Et me voilà donc parti pour exploiter à la fois cette idée de vers courts et le projet donquichottesque de s’attaquer au lyrisme frontalement hors des codes classiques ou cucul. En revanche, dans la question, le mot « forme » ne me va pas. Je le refuse. Forme, pour moi, c’est forcément un piège, le « fond » va pointer son nez ensuite, la distinction qui voudrait qu’on enjolive un propos, qu’il y ait deux machins-choses distincts dans l’écriture. Je pense que tout écrivain qui va penser ainsi n’aura rien pigé. Cette écriture est liée au projet. Je ne lâcherai jamais la ligne Tzara que j’ai faite mienne : « Le grand secret est là. La pensée se fait dans la bouche ».

On peut éventuellement parler ici de mise en page, oui. Et cette mise en page forte, fait partie intégrante du sens des textes. Elle participe au sens. Chaque mise en page a été imposée par le poème dans un seul et même mouvement. Donc, non, rien ne préexistait plus que cela à chaque texte, chaque texte a imposé son espace dans la page, avec comme seule ligne stylistique cette envie d’exploiter l’écriture à coupe courte pour dynamiter à ma sauce le vieux lyrisme de papa, pour proposer au lecteur autre chose autrement

 

Pierre Vinclair parle dans un essai de l’illisibilité de la poésie, ce qui provoquerait son refus par le grand public. Cette idée avait été évoquée avant dans La haine de la poésie de Ben Lerner. L’enjeu “donquichottesque” de s’attaquer au lyrisme frontalement n’est-il pas un moyen de prouver que la poésie contemporaine n’est plus un objet élitiste ? Il me semble que malgré cette proposition de mise en page inédite, Coupe courte peut être lu et apprécié par n’importe qui.

Soirée Boxon
Soirée Boxon

C’est un des enjeux, oui. Je viens de la poésie-action, de la poésie sonore que Jean-Pierre Bobillot définissait ainsi « Du bruit dans la point com ». De cela, j’ai gardé l’attention constante à travailler toutes les composantes de la communication, du « schéma de communication », dans mes textes, y compris le « bruit » et le canal. Ainsi, il y a toujours dans mon écriture la prise en compte du récepteur et donc, pour le livre, du lecteur, de la lectrice. Ils font partie intégrante du texte tel que je le pense, le crée. Si un texte est écrit pour soi, à quoi bon le publier ? Si on fait un livre, si on se produit en live, c’est pour un autre. Il faut donc le considérer. Un lecteur, c’est considérable.

J’essaie à la fois de ne pas le perdre mais également et surtout de lui donner une part très active dans le texte. Ce que je dis importe moins que ce qu’ils vont en lire, en comprendre, créer comme sens personnels avec mes propositions. Il faut songer en écrivant à cette projection qu’est la lecture d’un texte. Les pronoms seront différemment incarnés par les lecteurs et les lectrices. Il faut leur laisser leur espace, ne pas les enfermer dans MON sens, MON « message ». Certains se projetteront dans le « tu », d’autres dans le « je », le « elle » ou le « lui ». C’est aussi ça démonter les mécanismes lyriques. « Je » peut être un autre, il me semble.

Je n’attends surtout pas du lecteur qu’il m’écoute, passif pendant que je soliloque sur papier. J’essaie de le mettre en mouvement, de le rendre actif dans la construction du sens. Parce que je ne le prends pas pour une huître, que j’ai confiance en son intelligence, il a un peu de boulot, il doit construire, imaginer les sons, aller chercher le sens en lisant parfois par contamination avec ce qui précède ou ce qui suit.

portrait julien d'abrigeon
Julien d’Abrigeon présente le site tapin²

D’autre part, soyons clair, je ne pense pas qu’un texte « transparent » soit plus respectueux du lecteur qu’un texte volontairement hermétique ou illisible. Donc oui, je suis un peu exigeant avec lui en ne lui proposant pas une écriture transparente, la mise en page n’est pas linéaire, les textes sont agrammaticaux. En échange, je me dois de ne pas être opaque, il doit être récompensé de son effort, il appartient au texte d’être suffisamment riche pour se dévoiler là ou là. Et un peu plus encore avec une lecture attentive.

Après tout, une page de roman c’est deux minutes de lecture, les lecteurs peuvent passer quelques secondes à démêler au moins un premier sens au poème de quelques mots. C’est un peu comme les plans à grande profondeur de champ de Welles dans La soif du mal, le spectateur peut regarder un peu partout, voir et choper un détail, ce qui lui parle en premier. Et puis, à l’analyse, en se mettant sur pause, s’offrir l’ensemble du plan. Je pense ainsi que c’est ce rapport de la poésie au lecteur qui est à repenser. Il n’est pas captif. Il ne faut ni le tenir en laisse, ni le perdre : il faut lui offrir un espace.

 

On ne lit pas Coupe courte comme on lirait un roman ou même de la poésie en prose. L’œil du lecteur ou de la lectrice vagabonde sur la page. Est-ce qu’on peut parler d’une lecture spectatrice du livre ? Comme on est spectateur d’un film ?

Je l’espère. Ces dernières années, mes textes immédiatement poétiques avaient été conçus comme des partitions pour mes lectures à voix haute, travaillant la paronomase, le rythme, etc.  Ici, en écrivant pour le livre et son lecteur, sa lectrice, j’ai essayé de travailler un texte plus verbi-voco-visuel. La part visuelle a une plus grande place. Ce ne sont pas vraiment pour autant des poèmes visuels, ni des poèmes spatialistes car le texte est moins minimal et on suit tout de même un sens de lecture principal, mais j’essaie de provoquer des lectures à rebours, vers le haut, la gauche, par contamination des sèmes, des graphèmes ou des phonèmes.

 L’aspect cinématographique vient aussi du fait que, tour à tour, le lecteur doit parfois faire appel au son car le sens ne peut jaillir qu’ainsi, par jeu de mot par exemple, parfois c’est la seule vision qui le guide, d’autres fois encore, bien sûr, le sens des mots eux-mêmes. J’espère que cela se fait naturellement et sans effort, sans conscience de cela, mais oui, c’est bien l’idée de stimuler le son, l’image et le mouvement par une page fixe, en jouant notamment sur l’idée de persistance rétinienne, auditive, sémantique des phonèmes et graphèmes.

Très haut Julien d'Abrigeon

Je reviens ici, comme je le disais, à l’écriture de mes premiers textes. L’un de mes tout premiers poèmes, écrit en 1995 et publié page 3 du premier numéro de BoXoN en 97, travaillait déjà cela alors que je ne connaissais pas grand-chose à la poésie à l’époque : un texte écrit comme Coupe courte dans une police en chasse fixe avec différents sens de lectures et notamment la lecture implicite d’un texte jamais écrit.

Il faut bien comprendre que j’ai commencé à écrire en 95 lorsque je faisais mon travail universitaire sur Godard avec Bobillot. Je découvrais à la fois Denis et Maurice Roche, la poésie visuelle et sonore, et mes pensées, mes réflexions étaient totalement hantées par l’écriture et l’esthétique godardienne : les mots dans les mots, le travail de ce qui est « entre », ce que l’on peut créer « entre » une image et une autre, entre un son et une image, entre un mot et un son, etc. Les cinq matières filmiques peuvent être travaillées à l’écrit aussi (Même la musique, qui pourrait paraître plus compliquée ; c’était d’ailleurs une des composantes du rythme dans Sombre aux abords).

L’apport du cinéma dans l’écriture a été trop souvent réduit au roman, à la description, à l’échelle des plans. Il y a pourtant tant d’autres choses à piquer en bossant un peu.

Guillaume Richez a écrit pour Les imposteurs une chronique de mon livre et j’ai été assez bluffé qu’il repère immédiatement cette composante godardienne absolument essentielle de mon écriture. Alors que je soumettais à mon ami Nicolas Tardy (dont la poésie des débuts a aussi sa part d’influence ici) les projets de couverture pour le livre, il m’a dit en voyant une maquette de celle-ci format paysage-cinémascope avec, fond noir et police de caractères godardienne : « Ça, c’est vraiment toi ».  Bien qu’abandonnée car un peu austère, cette couverture annonçait la couleur : le livre a bel & bien, entre autres, une dimension cinématographique et godardienne.

 

Ce texte peut-il être performé devant un public ? Quelles passerelles vous faites entre le travail du livre et le travail performatif ?

pas billy the kid julien d'abrigeonHabituellement, c’est mon souci. La quasi-totalité de mes textes sont écrits non pas pour l’impression mais pour la lecture publique. Quand je me suis mis à écrire mon premier livre, Pas Billy the Kid, je l’ai fait pour le papier et je me suis retrouvé à en lire des extraits alors que tout n’était pas destiné à cela. Cela m’a vraiment interrogé et a modifié mon écriture. C’est pourquoi, par la suite, mes autres livres ont toujours eu pour souci de pouvoir être également lus à voix haute. Un peu à part, P.articule reprenait des textes-partitions qui n’avaient comme seule vocation la lecture orale. J’avais d’ailleurs noté en 4e de couverture : “Read it loud” comme on trouve des “Play it loud” sur certains disques. C’était moins un livre qu’un recueil de partitions de mes “Greatest hits”.

Pour Coupe courte, c’est un peu plus compliqué. En décidant de travailler bien plus l’aspect visuel, la lecture visuelle du lecteur, tout n’est donc pas destiné à la lecture à voix haute. Certains textes du recueil (“Manque tant”, “Contre vous” ou “Âne passe-passe”…) le sont absolument en revanche. D’autres seraient impossibles ou inintéressants ainsi et enfin, certains devraient bientôt exister dans une version réécrite pour retranscrire à la lecture de façon sonore ce qui est visuel quand les deux se mêlent.

Je ferai donc des lectures de Coupe courte, bien sûr, mais pas dans son intégralité.

Je me suis suffisamment battu pour expliquer qu’un poème lu en public devait être écrit pour cela, dans cette optique pour ne pas plaquer une oralité feinte à des textes qui n’ont pas cette finalité pour ne pas faire moi-même cette erreur de nouveau.

C’est justement parce que j’écrivais dans l’optique d’une publication papier cette fois-ci que j’ai pu étendre mon écriture à d’autres questionnements que la seule oralité. Bien évidemment, les poèmes, mêmes les plus visuels gardent toutefois la trace de ce souci-là.

Ce qui fait la force de certains textes en lecture publique est le fait qu’ils aient été conçus dans cette optique. Cela s’entend tout de suite. Avec la multiplication des lectures certains se sont mis à lire à voix haute tout et n’importe quoi. Certains textes peuvent être magnifiques à l’écrit et ne pas passer du tout à l’oral, et inversement. Ce n’est pas du tout un souci si un texte n’a qu’une seule de ces dimensions mais ça en devient un s’il n’est plus à sa place.

C’est d’ailleurs assez amusant de voir parfois le mépris de certains sur les transcriptions écrites de textes destinés à l’oralité or ce sont souvent les mêmes qui ne se gêneront pas pour lire à voix haute leurs textes totalement inintéressants du point de vue sonore et rythmique. Les bavardages autour du Nobel de Dylan, de la littérature orale, ont bien révélé les positions imbéciles de certains, incapables de comprendre qu’un texte oral ou sonore est tout autant (voire plus) écrit, réfléchi qu’un texte imprimé.

L’important est toujours la même chose : il faut écrire en ayant conscience de la personne qui va recevoir le texte et par quels canaux on va s’adresser à elle.

C’est parce qu’elle a cette double histoire, orale et écrite, que la poésie est passionnante. Hélas, sa dimension orale a souvent été cachée, méprisée, oubliée dans un monde qui ne gardait trace que de l’écrit. Maintenant qu’on garde des traces de l’oralité mais aussi des images des corps performant, on peut espérer que cela change doucement, que ces dimensions ne s’opposent plus mais se mêlent de plus en plus.

 

Quelles ont été vos influences pour l’écriture de Coupe courte et comment elles se sont placées dans la mécanique de votre écriture ?

Je dirais qu’il y a diverses strates. En reprenant cette ancienne façon d’écrire, je reprends les influences qui l’ont construite. Ensuite, j’ai depuis enrichi cela d’autres lectures et, pour ce recueil-ci, j’inclus des influences encore plus précises.

L’écriture des débuts, les verts courts, rapides, cela venait beaucoup de l’influence que nous avions entre nous chez BoXoN. On écrivait pour la lecture simultanée ou en public. On s’influençait beaucoup entre nous et entre poètes de notre génération. Il y avait une vraie émulation entre Gilles Dumoulin, Cyrille Bret, Gilles Cabut, Patrice Luchet, Cosima Weiter, Thomas Braichet, Georges Hassomeris, Jean-Luc Michel, Christel Hugonnaud et moi mais aussi à l’extérieur de la bande avec Nicolas Tardy, Christophe Manon, Emmanuel Rabu, Laure Limongi, et les autres. On avait donc en partie les mêmes références : Heidsieck, Blaine, Dufrêne, Bobillot, Dubost, Prigent, Luca, Frontier, Suel, Tarkos, Robinet, Métail, Quintane, André Martel, Clemente Padin, Chopin, Gysin, les lettristes, TXT, Java, Nioques… Donc, ça, forcément, ça marque.

Là-dessus se greffait pour moi alors en amont, comme je l’expliquais auparavant, l’influence godardienne essentielle ainsi que celle de Denis Roche.  Et puis, bien sûr, il y a Apollinaire, dada, Fluxus…

Depuis, j’ai beaucoup lu et vu autre chose, mes contemporains (Lespinasse, Gagnon, Tholomé, mes amis irakiens de la Milice de la Culture, tout ce que j’ai mis sur tapin²…) comme les anciens (Pierre Albert-Birot, Federman, Cummings, Garnier, les amphigouristes du XVIIIe s., les zutistes, l’équipe du Chat Noir, Cros, Rollinat, Nouveau…) et il est difficile de repérer qui a laissé quoi et où.

Ce recueil-ci, je le placerais particulièrement sous une double tutelle : celle des grands rhétoriqueurs et celle d’Heidsieck.

Bernard Heidsieck, Les tapuscrits, Les presses du réel, 2013
Bernard Heidsieck, Les tapuscrits, Les presses du réel, 2013

Bernard Heidsieck, on n’en sort pas. Je le relis, le réécoute, c’est magnifique et la publication de ces tapuscrits a dû m’influencer inconsciemment quand je suis retombé dessus. On retrouve l’idée de chasse fixe, une vitesse de coupe, la part de partition (et cela même si j’avais déjà écrit des textes ainsi avant de voir un seul de ses textes). Toutefois, mon écriture est différente de la sienne ici puisque je joue peut-être un peu plus sur la lecture visuelle du lecteur, sur la contamination du sens, du graphème que dans ses merveilleux poèmes partitions. Mais voilà, Bernard Heidsieck, c’est une rencontre qui m’a marqué de façon indélébile. Je collectionne un peu tout de façon monomaniaque. C’est le poète majeur de la deuxième partie du XXe s. Toute la poésie-action actuelle est forcément intimement liée à son travail.

Les grands rhétoriqueurs, là, c’est totalement conscient, assumé et volontaire. J’ai le bouquin de Zumthor que je parcours très régulièrement. Ici, j’ai particulièrement piqué un truc précis à Jean Marot, le père de Clément. Mais aussi au chartreux Destrées et, plus globalement, de Jean Molinet, Guillaume Crétin, Jean Meschinot et des autres, j’ai tenté de reprendre l’esprit. J’essaie de retravailler leurs vers équivoqués  sur des vers à coupe courte, voire hyper courte mais aussi le bouleversement des sens de lectures, les échos, les jeux de mots, le souci graphique…  De là viennent donc aussi clairement les échos sonores de sens.

Marot Paul Zumthor, Anthologie des grands rhétoriqueurs, 1018, 1978
Marot Paul Zumthor, Anthologie des grands rhétoriqueurs, 1018, 1978

Pas plus tard qu’hier je lisais une critique de 1910 sur le volume d’Henry Guy sur l’Histoire de la poésie au XVI e s. contenant les textes des rhétoriqueurs et c’est hallucinant de voir que, avant même Apollinaire, Pierre Albert-Birot, avant dada, avant les poètes sonores, les critiques contre les rhétoriqueurs ( « folie », « maladie mentale », absence de « poésie », « d’idées », le mépris du jeu qui serait forcément stérile) étaient déjà en place. On n’a pas attendu les années 30 pour trouver dégénérés les travaux de la langue les plus rigoureux, inventifs et libérés, même ceux de la fin du XVe s. y ont droit !

Or, il sont une source de création majeure, inépuisable et ils montrent qu’une autre histoire de la poésie existe, a traversé chaque siècle, qu’il y a une tradition de ce que l’on nomme la « modernité » qui n’a rien à voir avec une  mode, qui est une histoire cachée de la poésie vivante, à laquelle s’oppose la Vieillerie. La « modernité » n’est pas née avec Perrault, ni avec Apollinaire, elle a toujours été là, dans le plaisir de la langue au travail, elle n’est pas morte non plus ; il n’y a pas de « post », juste une postérité, une conception commune qui traverse une certaine poésie qui se soucie aussi du son et de l’espace, de la graphie pour exprimer encore plus ce que le langage peut dégager, bref, une poésie qui laisse de la place à l’échange avec le récepteur.

À propos Adrien

Passionné de poésie contemporaine et attaché à l'écriture sous toutes ses formes, engagée ou novatrice.

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