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Interview de Stefan Platteau

Stefan Platteau a sorti en ce début 2014 son premier roman chez les Moutons Electriques. Manesh, ainsi s’intitule t-il, est le premier tome de la Trilogie des Astres. Nous suivons lors de cette introduction plutôt imposante, le parcours d’un groupe d’hommes remontant un fleuve et recueillant un homme blessé qui dérivait sur ledit fleuve. Manesh, car c’est son nom, va leur conter son histoire, de sa naissance particulière, lui fils d’un dieu errant, jusqu’à son sauvetage. Roman dense et original, Manesh tire son épingle du jeu dans la fantasy française, et son auteur prend bonne place dans la catégorie à suivre. Pour une chronique plus complète de Manesh, c’est par là sur le blog d’Estelle, et pour l’interview, c’est ici!

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L’univers de Manesh, votre premier roman, est très complet et incroyablement construit. Depuis combien de temps l’avez-vous en tête?

C’est assez étrange, pour moi, de voir les critiques souligner la richesse de mon univers, alors que j’ai l’impression de l’avoir à peine effleuré dans ce premier tome… Cela fait plus de dix ans que je l’élabore pièce après pièce ; pas un voyage ou une visite de musée dont je ne retire quelques éléments de culture, de géographie, de faune ou de flore que je digère à ma façon avant de l’intégrer à l’ensemble. Mes lectures « sérieuses » l’alimentent aussi, qu’il s’agisse d’un bouquin d’Histoire ou d’un magazine de vulgarisation scientifique. Bien sûr, tout cela est digéré à ma manière… Du coup, le potentiel de ce monde est énorme, il y a quantité d’histoires à y raconter : outre la trilogie en cours, je compte bien l’explorer à travers d’autres histoires par la suite – par exemple, des nouvelles et novellas, des récits mythologiques sur l’époque des Antiques… Je n’ai pas l’intention de créer trente-six univers de fantasy différents au cours de ma vie d’écrivain : je suis installé dans celui-ci pour longtemps ! Je suis un peu comme Dipak, le palefrenier : je préfère re-travailleur une seule chose pour la rendre la plus riche possible, plutôt que d’en bâtir un grand nombre.

Si certains de mes lecteurs développent la même envie d’explorer ce monde dans ses moindres recoins, s’ils en viennent à « sentir » la mentalité et la façon de vivre de ses habitants, alors j’aurai réussi à construire quelque chose de vraiment vivant…

Pourquoi avoir choisi de mettre en parallèle les deux récits, celui de la traversée et celui de Manesh, plutôt qu’une construction en deux parties distinctes, par exemple?

J’ai envisagé les deux solutions avant d’opter pour la construction en deux récits parallèles, car elle est plus dynamique : elle « tient » davantage le lecteur, en variant les plaisirs et surtout, en générant d’avantage de mystères, qui ne se dévoilent qu’à la fin. Le revers, c’est que cette structure était peu évidente à mettre en place : mener les deux récits de concert, sans que l’un ne « spoile » l’autre avant le terme, m’a coûté quelques nuits blanches…

Le sentier des astres, titre de la trilogie, désigne t-il le chemin parcouru sur le fleuve en quête de ces géants et dieux, ou a t-il une signification plus métaphysique, mystique, de quête personnelle à la rencontre de ces astres fastes ou néfastes?

C’est un peu tout cela à la fois ! Ce titre reflète la vision du monde des gens de l’Héritage… Les Astres sont les puissances fondamentales qui gouvernent le cosmos ; mais ils sont aussi les pulsions primordiales tapies au fond de chaque être humain, autrement dit, les forces motrices de sa personnalité. L’âme humaine est un reflet exact du ciel ; les mêmes forces (soleil, lune, planètes) grondent dans le vide cosmique et rugissent dans le cœur de l’être.

La trilogie est basée sur les récits de vie successifs de plusieurs personnages : Manesh, la Courtisane, et d’autres encore. Ce qu’ils racontent, ce sont leurs parcours personnels, autrement dit, les chemins que leurs astres intérieurs les ont poussés à emprunter. Chacun d’eux a posé ses choix en fonction de sa nature profonde. Manesh, par exemple, a une dominante solaire, ce qui fait de lui un bâtisseur infatigable et un être de vérité. Les sentiers des astres, ce sont des destinées !

D’un autre côté, les « géants et les dieux » que l’on quête le long du fleuve sont aussi profondément liés au monde céleste ; ils sont les premiers enfants des Astres et portent en eux une immense énergie astrale. En ce sens, le fleuve aussi est un « sentier des astres », s’il mène à eux. Et donc, une quête spirituelle où l’on se cherche soi-même tout en cherchant les dieux…

Le roman est balisé de références aux mythologies scandinave, indienne, celte. Qu’y avez-vous puisé? En quoi sont-elles plus riches, plus intéressantes?

J’ai puisé mes influences dans de nombreuses mythologies et cultures, même si les apports celtiques, hindous, finnois et scandinaves sont les plus importants. Mais tout a été digéré à ma façon : vous n’allez pas retrouver un dieu hindou ou une déesse celte dans mes romans, pas même sous une forme déguisée. Il y aura toujours un mélange, une transposition, une recréation.

Par exemple, dans la mythologie hindoue, j’ai puisé le concept des Astras, ainsi que l’opposition entre deux lignées cousines, l’une d’ascendance lunaire, l’autre d’ascendance solaire. Cela fait écho à la querelle des Pandavas et de Kauravas dans le Mahabaratha. J’en ai tiré aussi une certaine idée de l’ascétisme comme source de pouvoir magique, ainsi qu’une mentalité relativement fataliste qui prévaut sur les rives de l’Angmuir (une sorte de soumission à la volonté des astres). Enfin, sur le plan social, la caste sacerdotale des Bramynn s’inspire des brahmanes hindous, même si elle s’en écarte fortement sur le contenu et la doctrine.

Le chamanisme a fortement inspiré la façon dont je vois le monde surnaturel, peuplé d’esprits, dont certains ne sont que des pétillements éphémères, d’autres des êtres plus durables. Le bramynnisme peut être vu comme une sorte d’animisme civilisé et doctrinaire, d’une grande complexité, mêlé d’une science de l’influence des astres, et des rituels qui permettent d’en tirer parti.

On découvre au fur et à mesure de la lecture la complexité des personnages et des situations, loin du manichéisme habituel en fantasy. Est-ce par volonté de trancher avec les poncifs du genre ou pour aller vers une fantasy plus réaliste?

Depuis toujours, j’aime m’évader dans le fantastique. Mais comme adulte, je ne peux plus rêver dans un décor en carton-pâte : je n’y croirais pas, la magie ne fonctionnerait pas. Pour que je puisse traverser l’armoire magique, l’autre monde doit tenir la route d’un point de vue culturel, géographique, etc. Et donc, les personnages doivent tenir la route aussi ! Comme personne, dans la vraie vie, n’est tout blanc ou tout noir, l’un des éléments qui me donne envie d’y croire, ce sont des personnages nuancés, avec leurs forces et leurs faiblesses. Et ce que j’aime par-dessus tout, c’est ce qu’un personnage peut tirer de ses faiblesses et de ses doutes – quand quelque chose de beau sort de la difficulté et de la peur…

Manesh est un roman dense, entier au rythme lent et assez hypnotisant, qui m’a fait penser aux sagas islandaises entre autre. Quelles ont été vos inspirations pour l’écriture?

Difficile à dire… Blogueurs et journalistes ont comparé Manesh à Apocalypse Now, à Aguirre la colère de Dieu. Ce ne sont pas des œuvres auxquelles j’ai songé consciemment en bâtissant mon roman. Pourtant, il est probable qu’elles m’aient marqué plus que je ne le pense. Je suppose que j’ai digéré de nombreuses influences…

Pouvez-vous nous faire saliver avec quelques infos sur la suite de la trilogie?

Le tome 2 va rebondir rapidement. Les relations entre les personnages de l’expédition Rana vont encore se complexifier un brin… le Barde va devoir explorer davantage le passé de ses compagnons. Un autre membre de l’équipée va « passer à table » et raconter sa vie : cette fois, il s’agira de la Courtisane. L’occasion de faire un tour dans l’île du Fintami, mais aussi de basculer dans un récit très urbain, en fréquentant les grandes cités de l’Héritage. La condition de la femme dans une société traditionnelle constitue assurément l’un des thèmes explorés, tout comme la marginalité en général. Par ailleurs, dans le Vyanthryr, il risque d’y avoir plus d’action…

Votre livre, sorti chez les Moutons, est sous le « parrainage » glorieux de Justine Niogret et Jean-Philippe Jaworski. Pas trop impressionnant?

Impressionnant, certes. En même temps, je me trouve une sorte de lien de parenté avec ces auteurs. Il y a une démarche similaire. Je ne peux pas parler en leur nom, mais il me semble que nous partageons un même souci de décrire un monde crédible, fait de menus détails, de personnages en clair-obscur enracinés dans leur réalité charnelle, confrontés à leurs limites humaines et civilisationnelles, poursuivant des objectifs qui pourraient parfois nous paraître étranges aujourd’hui. Dépeindre des cultures subtiles, construire des trames douces-amères, le tout avec une grande attention portée à la forme du récit. Un regard à la fois littéraire et anthropologique…

Manesh, Les Moutons Electriques
merci à Stefan Platteau pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Crédit photographie (c) MeliVas

À propos Marcelline

Chroniqueuse/Co-Fondatrice

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