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Marente de Moore La Vierge néerlandaise couverture

Marente De Moor – La Vierge néerlandaise

Pour sa première publication, la nouvelle maison d’édition Les Argonautes met en lumière un roman à l’atmosphère puissante, porté par l’écriture précise et envoûtante de Marente de Moor. Première traduction de cette autrice en français, La Vierge néerlandaise tisse une intrigue au magnétisme redoutable qui nous happe dés les premières pages pour ne plus nous lâcher, même une fois le livre refermé. 

Ayant grandi à la frontière entre les Pays-Bas et l’Allemagne dans les années 20-30, Janna est envoyée par son père auprès d’un de ses amis d’Aix-la-Chapelle pour parfaire ses talents d’escrimeuse. Entourée d’une épaisse forêt, la majestueuse demeure appartient à l’orageux Egon von Bötticher, marqué physiquement et psychologiquement par les horreurs du front. Très vite, la jeune femme cerne le caractère de cet homme torturé et taiseux qui semble préférer la compagnie des animaux et de la nature que celle de ses semblables. S’il se montre doux envers une jument ou attendri par les cabotinages d’un chien, il n’en est que plus étrange et lunatique avec les êtres humains qu’il côtoie. 

– Ce qui me rend vraiment heureux, c’est quand la nature reprend ses droits, quand ce qui a été construit s’écroule et qu’elle se régénère. Place quelque chose que les humains ont construit, un meuble ou autre, au milieu des bois. Très vite il pourrira, sera envahi de broussailles, rongé. Ou mieux encore. Mets-le parmi les bêtes. Les bêtes adorent casser. Si tu donnes à un chien, un cheval ou une vache un objet que nous avons fabriqué, le lendemain il aura été piétiné, mordillé, bousillé. Rien ne demeure intact s’ils s’en mêlent. Les vêtements, surtout, ils adorent les déchirer. Peut-être parce qu’ils ont notre odeur, parce qu’ils veulent être au plus près de nous, ou, qui sait, être nous ? Tu es ce que tu manges. C’est la seule chose qu’il leur reste : nous consommer régulièrement, piétiner notre besoin de fabriquer, nos règles, inventées pour nous donner l’illusion d’écarter la mort.

Pourquoi les gens sont ils si pressés de nos jours? Ils me font penser à des bêtes qui se dépêchent d’avaler leur nourriture avant qu’on ne les attrape. Ces dernières années, on a abattu beaucoup d’arbres pour en faire du papier à journaux. Les animaux se sont enfuis, des races ont disparu parce qu’elles ne rapportaient rien, en Australie par exemple. On ne peut plus voir une cascade sans penser énergie, ni un travail honnête sans le mécaniser. L’organique cède à l’organisationnel, mais attention, la violence avec laquelle cela se fait, cette rage qui n’épargne rien ni personne, elle est abjecte !

Ils sont peu à séjourner au domaine du Raeren : quelques bêtes, le couple d’employé·es, le Maître lui-même et sa disciple. Jusqu’à ce qu’ils soient rejoints par Fritz et Siegbert. Ces deux élèves jumeaux à la beauté renversants se comportent comme l’extension parfaite l’un de l’autre, mais leur complémentarité va s’étioler alors que des bouillonnements furieux d’amour et de haine vont commencer à les ronger.

Les journées rythmées par un planning rigoureux sont parfois bousculées par l’arrivée impromptue de la mère des deux frères ou encore par l’organisation de la Mensur, un sport illégal où les dualistes s’affrontent quasiment sans protection afin de récolter quelques estafilades glorieuses, symboles scarifiés de dignité et de bravoure. 

Du haut de ses dix-huit ans, la tempétueuse Janna s’adonne aussi bien au fleuret qu’à la rêverie, projetant le voile de ses fantasmes sur la réalité. En fouillant dans la chambre de von Bötticher, elle tombe sur sa correspondance avec son propre père et déroule ainsi le fil de leur passé commun, marqué du sceau de la trahison. Comblant les non-dits, parcourant des lettres restées sans réponses et d’autres, jamais envoyées, elle découvre et compose leur récit, s’explique la rage diffuse de ce maître d’armes qui deviendra parallèlement son premier amour. Au crépuscule de son adolescence, elle oscille entre deux mondes, passant de l’un à l’autre au gré de ses pensées. Les jeux d’enfants en compagnie des jumeaux perdent également en innocence : les corps s’effleurent dans le secret d’un jardin ou bien se tiennent en joue sur le parquet grinçant de la salle d’entrainement. Acquis historiques et frontières intimes se brouillent.

Marente de Moor développe des tensions latentes nimbant les pages d’une aura fascinante, tout en confrontant des dualités subtiles. Dans ce climat d’entre deux guerres où le swastika fleurit sur les enseignes, Janna se heurte à un univers masculin fermé l’objetisant, ce qui ne fera qu’attiser son besoin d’émancipation. Pendant des songes éveillés, elle y projette l’escrimeuse Hélène Mayer en déité couronnée de flammes alors qu’elle-même se consume hantée d’une passion où se mêlent l’art du combat et celui du cœur. Comme un jeu de miroirs dans lesquels se découpent des reflets marqués d’impénétrables différences, les protagonistes se font face les uns les autres tandis qu’autour d’eux un maelström se forme, grondant. L’homme devient animal, porté par un instinct primitif d’évasion ou de rage, les vieilles blessures encore à vif dessinent le paysage escarpé d’un code d’honneur trop longtemps ressassé. La petite fille laisse place à l’éclosion d’une farouche jeune femme, dont l’intensité des sentiments vibre et s’envole entre les pages de cet ambitieux roman. 

Possédant une aura captivante et oppressante, La Vierge néerlandaise est un condensé d’orage, une ode aux embrasements.

Je me sentirais seule, je le savais déjà. J’aurais voulu redevenir moi-même, comme avant. C’était cela, la nostalgie, la vraie. Pas quand le voyageur se languit de retrouver son foyer mais quand il languit de se retrouver lui-même, tel qu’il était, avec ce qu’il savait, ce qu’il pensait avant le départ. Quand tout était clair. Quand ma vie était une évidence.

Marente de Moore La Vierge néerlandaiseTraduit du néerlandais par Arlette Ounanian
Les Argonautes
320 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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