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Marie-Eve Thuot – La trajectoire des confettis

Livre-monde, livre-choral, livre-total.

Comment résumer autrement ce roman-somme qui, sur plus de six cents pages, nous présente une galerie de portraits fascinants, comme au musée, avec l’ambition d’embrasser l’évolution des rapports humains et amoureux de ce 21ème siècle. Car La trajectoire des confettis renferme une véritable sociologie du couple, et explore les mille et unes façons d’aimer et d’être aimé aujourd’hui. Plus que cela, même, les mille et unes façons d’être dans ce monde, de vivre dans ces temps troublés, devant la catastrophe écologique qui arrive, devant les révolutions qui enflamment les quatre coins de la planète. Ce n’est pas qu’un livre sur l’amour, c’est un livre sur l’Humain, dans toute sa complexité, sa grandeur, sa faiblesse, sa part d’ombre. C’est un livre sur le hasard, ce qu’il provoque et ceux qui le subissent. C’est un livre si fort, si tendre, si beau qu’on pourrait verser une larme en le refermant, la dernière page – effrayante – engloutie.

Il ne sert à rien de tenter un résumé classique de ce roman, il ne nous apprendrait peu et ne saurait englober toute l’immensité du texte. Il y a dans ce roman des dizaines de personnages, et l’un des tours de force est qu’ils sont tous parfaitement incarnés. Il n’y a ni caricature, ni facilités. Une profusion de personnages comme autant de configurations possibles des ordres et désordres amoureux. Les personnages sont si vivants qu’on se prend d’affection pour eux.

Personnellement, je suis tombé fou amoureux de Fanny/Oscara/Cléopâtre/Ulrique-Eleonore, une fille qui apparaît, disparaît et réapparait soudain en donnant à chaque fois une identité différente. Son érudition est fascinante, sa légèreté est touchante, et ses failles sont des portes ouvertes où il est bon de se perdre. Elle est mythomane, mais n’est jamais soumise à un quelconque jugement moral de la part de l’autrice (d’ailleurs, c’est assez remarquable de constater que ces six pages qui explorent la morale des rapports amoureux ne tombent jamais dans le manuel de morale – il n’y a ni Bien ni Mal, il y a juste un personnage en proie à ses désirs). Sa mythomanie repose sur l’ennui. Cette fille, un jour, pour tromper l’ennui, s’est amusée à mentir, et la voici quinze ans plus tard à entretenir des milliers de mensonge avec esprit et intelligence. Elle est brillante, elle est fascinante, elle peut parler de tout – de philosophie allemande, de féminisme radicale, de littérature, d’architecture indienne. Sa curiosité n’a aucune limite, elle a le pouvoir d’exciter la propre curiosité du lecteur, et stimuler sa réflexion.

Chacun des personnages mériterait des paragraphes entiers dans lesquels déclarer mon amour. Ce qui les réunit, c’est cette indépendance d’esprit, c’est la force de leurs convictions. C’est pourquoi c’est un grand roman, car il n’a de cesse d’interroger son lecteur, et de lui soumettre des points de vue et de le faire participer aux débats. Le livre aborde des dilemmes moraux propres aux relations humaines et amoureuses, qu’ils soient banals, triviaux, ou dérangeants. Une fois de plus, sans jugement, on évoque la fidélité, l’ennui, ou l’inceste. On parle de contraception, d’adoption, de libertinage, d’abstinence. On parle même d’une secte extinctionniste qui encourage ses membres à la stérilisation (le dernier chapitre du livre, monstre, sublime, intense, qui met en scène Rosalie, un autre personnage dont on tombe amoureux en quelques lignes). Et l’autrice le fait à chaque fois de manière brillante, enlevée, érudite, sans jamais faiblir, soutenant le rythme sur six pages.

Et il y a ce plaisir de lecture qui nous étreint, lorsqu’on s’amuse à retrouver ça et là des motifs récurrents qui traversent le roman. Comme un labyrinthe gigantesque, où une porte nous ramène à notre point de départ, comme des pièces secrètes dans les boîtes échangistes parfois évoquées, ou des recoins de salon occupés par des adolescents en rut pendant une fête. Ainsi l’image du cerveau, qui ouvre et referme le roman, ainsi l’image du fœtus décliné à toutes les sauces. Ainsi, évidemment, les confettis, symbole des petits hasards qui mènent nos existences contre notre volonté.

Alexandre

la trajectoire des confettis marie eve thuot couvertureLa trajectoire des confettis

Marie-Eve Thuot

éditions du Sous-Sol

620 pages – 2020

première édition québécoise Les herbes rouges – 2019

À propos Alexandre

Chroniqueur

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