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Mathieu Arsenault – La Morte

La morte qu’évoque Mathieu Arsenault, c’est Vickie Gendreau, son amie écrivaine, poétesse, décédée à l’âge de 24 ans, un jour de mai 2013. Du moins, c’est ce qu’on pourrait croire en commençant ce texte fort qui convoque énormément de sentiments sur le deuil, l’acceptation, la mort, l’amitié et l’amour. Car, à y regarder de plus près, La morte n’est pas tout à fait Vickie Gendreau, mais plutôt une image de Vickie Gendreau que Mathieu Arsenault a créée, une Vickie Gendreau que l’auteur tente d’extirper du royaume des morts pour la faire vivre, éternellement, en littérature.

La morte est un texte court, à peine 130 pages. Pourtant, tout ce qu’il contient est immense, et difficile à résumer en quelques lignes. Le journal d’un deuil ? Le travail d’un écrivain pour faire vivre l’œuvre d’une autre écrivaine disparue ? Un retour sur leur relation, qui fut d’abord une relation amoureuse avant de devenir une amitié solide ? En quelque sorte, le livre est tout cela – mais il est aussi bien plus.

C’est le mythe d’Orphée, revisité car il ne s’agit plus de sauver une personne physique d’hypothétiques Enfers et des tourments éternels de la mort (après tout, une personne décédée est et restera décédée, et cela même si son souvenir nous hante chaque jour), il s’agit de sauver une œuvre littéraire de l’oubli. C’est ce chemin que fait Mathieu Arsenault tout au long de ce récit. Car, s’il veut faire vivre le souvenir de Vickie Gendreau, la dépeindre telle qu’elle était – vivante – la promesse qu’il lui a faite est avant tout de pérenniser son œuvre, pour ne pas que ses romans et ses poèmes restent avec elle dans le royaume des morts, mais qu’ils atteignent le plus de lecteurs possible. Ainsi, il prolongerait leur vie.

Qui était Vickie Gendreau ? De son vivant, elle a publié Testament, dans lequel elle évoquait la découverte de sa tumeur au cerveau qui lui sera fatale. Quelques jours après son décès paraitra Drama Queens (toute son œuvre est parue aux éditions du Quartanier). Récemment a été publié Shit fuck cunt, un recueil de textes assemblés et édités par Mathieu Arsenault. A sa mort, Vickie Gendreau a légué à son ami et mentor tout son « héritage littéraire », à savoir son œuvre et ses archives. Charge à lui de faire le tri dans ces textes, de les organiser et de les publier. Ce travail, ce lien quotidien avec l’œuvre de son amie disparue, donnera naissance à ce texte, La morte.

Car Vickie Gendreau ne quitte jamais totalement l’esprit de Mathieu Arsenault. Parce qu’il convoque son souvenir à chaque occasion, lorsqu’il est avec des amis, ou lorsqu’il assiste à une soirée de lecture de poésie, au point parfois d’ennuyer ceux qu’ils côtoient. Et puis, surtout, parce que Vickie lui apparait en rêve, de plus en plus régulièrement. Ils dialoguent. Il lui pose des questions sur son œuvre, elle lui parle de sa disparition. Ce double, ce n’est pas totalement Vickie, évidemment, mais plutôt une espèce de fantôme qui n’apparait que dans sa conscience. C’est ce fantôme qu’Arsenault appelle la Morte. C’est sur cette représentation que porte le récit. C’est cela qui rend chacune de ces pages si poignantes, si puissantes. Un texte qui dépasse la simple évocation du souvenir d’une disparue, un texte qui est bien plus que le journal d’un deuil. C’est un texte qui magnifie le lien qui existe avec la mort, qui arpente la route qui existe entre le vivant et le mort. Une route que Mathieu Arsenault emprunte, aller et retour, avec les textes et poèmes de Vickie dans ses bagages.

« Devant, il n’y a rien, pas de bonne journée, pas de lever de soleil, rien que le chemin qui pourrait te mener du royaume des morts à la littérature. Ce que tu as écrit sera le seul moyen que quelque chose survive. Tu ne peux dorénavant qu’être vécue à travers les autres. »

On en revient alors au mythe d’Orphée, descendu aux Enfers pour sauver sa bien aimée Eurydice et la ramener sur Terre, chez les vivants. Évidemment, il échoue, il se retourne pour voir le visage de l’aimée, ce qui lui avait été formellement interdit, et Eurydice disparaît à jamais. Reste Orphée, errant, jusqu’à sa fin tragique entre les bras de nymphes qui se repaîtront de son corps vidé de toute âme et de toute joie. Mathieu Arsenault, lui, ne fera pas la même erreur qu’Orphée. Il descend au royaume des morts non pas pour chercher Vickie Gendreau (il croise son fantôme et les pages relatives à ces rêves où ils discutent sont parmi les plus belles du livre), mais pour rapporter son œuvre. Car il sait que le seul moyen de garder Vickie en vie est de la lire et de la faire lire.

Mathieu Arsenault a eu raison, et il a réussi. Pour moi, désormais, Vickie Gendreau est bien vivante.

Alexandre

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Mathieu Arsenault

Editions Le Quartanier

2020 – 131 pages

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Chroniqueur

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