Est-ce que tu manges de la viande ?
Est-ce que tu aimes les animaux ? »
Isst du Fleisch ?
Magst du Tiere ? »
La mer gelée a pour « but de traiter une maladie commune : la LITTÉRATURE, contre laquelle il existe un unique remède : la LITTÉRATURE » ; elle t’explique qui est Maman. Maman est un numéro, La mer gelée est une revue. Maman est ambivalente. On l’adore/déteste/la perd. Elle nous fait honte. Elle est bête, elle ment, elle est raciste et homophobe, son fils ne la contredit pas toujours. L’Etat Islamique tracasse Maman (Jacob Wren), elle nous fait à manger, on la décongèle et on la découpe. On l’assaisonne avec du citron. Ses petits l’aiment bien, elle est bien gentille : Maman vient de chez Carrefour (Christian Filips). Maman a nos yeux et notre langue. « Langue, ça n’a pas d’os, qu’importe comment on la tourne, elle s’y plie. » (Emine Sevgi Özdamar.) Folle, folle, maman. Maman nous met en colère et nous rend tristes. Maman reproduit, renonce et rêve d’infanticide. Maman est scandale, et les mots s’effacent. « Maman est la logique même, imparable comme une équation de collège à une inconnue : 13x=13 » (Guillaume Caillou).
Maman est un objet graphique, noir, blanc, minimaliste, ses polices sont impeccables. « Tu aimes la poésie et la peinture ? Maman glorifie la beauté. Elle a des produits. » (Eléphant.) Maman a un rabat et un sommaire. Les noms du rabat et ceux du sommaire sont parfois les mêmes et parfois non, car Maman a de l’humour — elle provoque. Son introduction a des airs de cadavre exquis, c’est un puzzle désordonné, des pièces y sont ajoutées ; Chien précède Maman ; au milieu de Maman, il y a un Eléphant, avant l’Eléphant, il y a un Caillou. La mer gelée abolit les frontières et les textes de Maman sont écrits en allemand/(ancien) français/anglais et traduits en français/allemand, par des auteurs et des traducteurs français/allemands/turcs/tchèques/autrichiens, on ne se perd pas même si comme moi on ne comprend pas l’allemand, il suffit de tendre la langue pour entendre/voir/goûter.
Au sommaire de Maman, textes de création, prose, poésie. De la violence, une bombe, avec l’incroyable fracas, le coup de hache, de Mourir pour maman (Eléphant) ; Un Exemple, le rythme mécanique d’une voix et la litanie d’une folle (Arno Calleja) ; le carambolé et incendiaire Voulezvouslemal de Laura Vasquez. Des fils dévoués (Pierre Bergounioux), des fils qui abandonnent (Chrétien de Troyes), des fils qui (se) détestent (Christophe Manon).
Inédits en français, les très beaux poèmes sensibles et concrets d’Elke Erb et ceux de Farhad Showghi & Wolfgang Hilbig. Une réflexion sur la matière de l’allemand dans un entretien puis un texte de Georges-Arthur Goldschmidt (traducteur de Peter Handke, Nietzsche, Kafka…). Un impressionnant extrait de Mutterzunge : Erzählungen (traduction collective) d’Emine Sevgi Özdamar, empli de rêves, de train et de prisons : perte de la langue maternelle, mots qui manquent, syntaxe qui bute et trébuche. (« In meiner Sprache heißt Zunge : Sprache. »)
Des traductions de Bernard Banoun : « Sept autres mères : la belle-mère, la matrice, la matrone de thèse, la nacre mère de la perle, la tache de naissance marque de la mère, la terre-mère, et mutterseelenallein, moitouteseuleâmesansmaman » (Yoko Tawada) ; le lait et le sang de la mère (Josef Winkler) ; un cauchemar, un enfermement, une langue hachée depuis la chambre d’enfant & l’utérus (Thomas Jonigk).
Mais maman ! Fais la vie, encore !
Ne meurs quand même pas »
Aber Mama ! Mach noch mal das Leben !
Trotzdem, bitte nicht sterben »
Dans Maman, on trouvera aussi des textes et traductions de François Athané, Antoine Brea, Benjamin Dittmann, Christian Driesen, Adelheib Duvanel, Catherine Fagnot, Kai Fritsch, Nicolas Geibel, Marina Hernandez, Odile Kennel, Dagmara Kraus, Noémi Lefbvre, Alban Lefranc, Aurélie Maurin, Lena Müller, Gaëlle Obiégly, Alexandre Pateau, Vincent Platini, Volker Zimermann
& une photographie d’Anaëlle Vanel.
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Voir et écouter : http://lamergelee.tumblr.com/
La mer gelée — numéro Maman.
Directeurs de publication : Aurélie Maurin et Alban Lefranc.
Conception graphique : Atelier Baldinger – Vu-Huu, Paris.
Editions Le nouvel Attila/Othello, été 2017.
Lou.