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La moitié du fourbi, « littérature et appels d’air »

Lieux artificiels, réunis dans une moitié de fourbi, un fatras ouvert. Fragments d’espace discernés, appréhendés, saisis, imaginés dans le territoire libre d’une revue. Quatorze textes, deux entretiens, autant de sensibilités et d’approches d’un concept, d’une idée large et glissante. Création littéraire, essai, dessin, photographie, rêverie, dialogue… Tentatives tentaculaires de s’immiscer dans, vers. De chercher ce qui ne semble pas naturel, ce qui n’a pas l’air réel. On y entre par les portes battantes de la mémoire — masse cérébrale et toile virtuelle, à la fois interne et externe, intime et publique — à travers lesquelles L’œil de l’OuLiPo va-et-vient à la recherche de liens, explorant traces, contre-empreintes et sédiments. Puis, tout bascule. De La Villette à Stalingrad, vertige au-dessus des immobiles qui voient défiler les jambes de ceux qui parcourent. « Donc s’en tenir à ça, s’accrocher à un art, tenir debout, agencer son instabilité, bricoler une posture. Et le trottoir, qui s’avance fictivement vers moi, m’approche encore plus de la grande bascule de la misère. Y reconnaître le vertige absolu, avec lequel il n’y a nulle conciliation, nul accommodement, nul artifice, la nudité par dépouillement, et le lieu qui la contient dans le détachement minuscule. » (Vertigo in situ, Jane Sautières). Peu à peu, les lieux s’altèrent — fentes dans le réel, hétérotopies, tribunaux, îles, parcs d’attractions, phares, terminaux d’aéroport, asiles-prisons… Lieux qui ne paraissent pas à leur place, leurres qui nous mentent. Ce que l’on cache ou que l’on ne veut pas voir, ce qui est autre, ailleurs, artifice, poudre aux yeux.

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Le regard s’abîme sur les accrocs et creuse la déchirure. Est artificiel ce qui est né de la pensée humaine, de l’activité humaine. Ce qui n’est pas nature. Ce qui résiste à la dictature de la réalité. Apparition, plongée, déliquescence, brouillard radio qui modifie la réception des signaux, la perception de la société, du temps et du décor. A chaque texte affleure la « possibilité d’un glissement » ou l’éventualité de la résistance d’« une forme de violence que recouvrirait mal la fable d’un bonheur nettoyé de ses impuretés et de ses blessures intérieures ». (Retour à Disneyland Paris®, Frédéric Fiolof.) L’apparence du monde qui nous entoure vacille, l’écran clignote. On pourrait modifier le décor en fermant les yeux, créer la surprise. Faire surgir des « habitations complètement étrangères au paysage qui les entoure » (Melrose La Caillère, Jean-Philippe Rossignol), des buildings démesurés dans les campagnes, des capitales dans la savane rouge, des artifices qui « estompent l’illusoire différence entre le faux et le vrai », inverser l’image des îles, transformer le paysage en sentiment. Où sommes-nous, quelle réalité touchons-nous et quel est son degré ? Sur quoi fermons-nous les yeux, quels joueurs de flûte nous entraînent ? Quelles « séparations mentales » opérons-nous entre « ici et là-bas » pour rendre le monde « lisse et inoffensif » (Everything must go somewhere, Lucie Taïeb) ? Les lieux de l’artifice dissimulent un autre « lieu non assignable, non représentable » (Au lieu de la disparition, Anne Maurel). Nous transformons les décharges à ciel ouvert en parc, aménageons des réserves naturelles sur les lieux d’assassinats de masse, des « fantasmagories » qui nous attirent comme des mouches à miel et nous leurrent, villes vitrines sucrées qui détournent notre regard de la marchandisation du monde comme les décors hollywoodiens construits dans le désert détournent les avions-fantômes de leurs cibles.

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Artificial Wonderland, Yang Yongliang.

Les terminaux d’aéroport qui nous promettent un ailleurs — qui n’est en réalité qu’« une césure qui nous soumet, tour à tour, au temps précipité de l’urgence et à celui, coagulé, du désœuvrement » (Pax, Hugues Leroy) — continuent à nous séparer en flux distincts. Les tribunaux nous dépossèdent et imposent une « règle du jeu […] qui seule, bien comprise, permet aux juges, et à eux seuls, dans cette salle et pas ailleurs, de faire que les mots soient changés en obligation juridique » ((En)droit, Thomas Giraud). Menaces panoptiques : on (s’)isole, on (s’)enferme. On rêve des ruines du monde présent, fascinés par la possibilité de contempler dès aujourd’hui sa destruction future. On imagine l’arrêt des horloges et l’immense soulagement de savoir que tout cela pourrait avoir une fin — fantasme de « voir le monde libéré de l’histoire et de l’humanité, ses villes et ses paysages rendus à la nature et à leur fragilité d’artefacts et élevés à leur beauté de vestiges, rêver à des lieux où pouvoir rencontrer pacifiquement la grandeur des forces inhumaines du temps et de l’anéantissement qui excèdent sans mesure les œuvres humaines » (Jouir des ruines, Anthony Poireaudeau). Une effrayante poésie voit le jour, où plusieurs niveaux de réel s’entrechoquent, se mêlent et s’oblitèrent, entre photographies de villes industrielles à l’abandon et Artificial Wonderland (Yang Yongliang) qui mélange urbanisation galopante paysages brumeux de peintures traditionnelles. On dérive…

« Dans le fourbi du monde, la littérature ouvre des pistes et des espaces. Elle invite aussi à poser le livre et à regarder autour. Le plus loin possible comme à nos pieds, il y a matière à s’étonner, prendre plaisir, s’émouvoir, s’effarer. Au cœur des textes et au-delà des pages, nous faisons le pari de deux gestes portés par une même curiosité, une même envie de donner encore à lire, à voir et à penser. A chaque numéro, une proposition (un thème, un mot, une luciole). La moitié du fourbi l’explore librement, réaffirmant que la littérature est l’exercice jubilatoire le plus sérieux du monde. Une promenade, en somme, à livre ouvert et à livre fermé. » Lieux artificiels est le quatrième numéro de la très belle revue bisannuelle fondée en février 2016 par Frédéric Fiolof dont l’agréable premier roman, La magie dans les villes, vient de paraître aux éditions Quidam. Sa maquette impeccable conçue par Christophe Burine achèvera de convaincre le lecteur curieux et avide de découvrir la diversité des écritures et des styles qu’elle réunit en un objet sobre, original et intelligent. Au sommaire, les voix de Zoé Balthus, Frédéric Fiolof, Hugues Leroy, Gilles Ortlieb, Anthony Poiraudeau, Adrien Absolu, Valérie Beaudouin, Thomas Giraud, Anne Maurel, Jane Sautière, André Rougier, Jean-Philippe Rossignol et Lucie Taïeb.

Moitié du fourbi

Lieux artificiels.

La moitié du fourbi. n°4, 2016

Lou.

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