Nous avons eu la chance d’échanger avec Anne-Charlotte Letourneur, petite fille de Michel Bernanos, qui gère le site dédié à son grand-père. Un travail passionnant nous permettant d’en découvrir plus sur sa vie et son œuvre ainsi que les interactions entre les deux. Voici l’entretien et nous tenons vivement à remercier Anne-Charlotte Letourneur pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Bonjour, pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre rapport avec Michel Bernanos ?
Je suis tout d’abord une très grande lectrice de Michel Bernanos et aussi l’une de ses petites filles, particulièrement passionnée par ses œuvres et son vécu.
Comment est né votre site internet : michelbernanos.fr. Y avait-il une envie d’analyse de ses œuvres, ou bien était-ce avant tout une quête intime qui a évolué par la suite ?
J’ai commencé à créer le site il y a maintenant 5 ou 6 ans afin d’apporter plus de visibilité à Michel et à l’étendue de son œuvre qui m’a plu dès les premières lectures. Dès le départ, j’ai commencé un travail de rapprochement entre l’analyse de ses œuvres et son vécu. Cependant, au départ, je n’avais pas mesuré l’importance que son engagement dans la France Libre pouvait avoir sur le contenu de ses écrits. Ce site représente le contenu de mon travail de recherches littéraires et historiques. J’ai bien avancé mais je suis encore loin de l’avoir terminé, mon site évolue sans cesse en fonction des découvertes effectuées.
En tant que petite fille de l’auteur, comment aborde-t-on son œuvre ? Y-a-t’il une recherche d’identité, de connexion avec votre grand-père, un besoin de le connaître mieux et de le comprendre par le truchement ses œuvres ?
L’œuvre de Michel est sublime mais parfois très sombre. Tout comme les autres résistants, mon grand-père n’est pas revenu indemne de la guerre, loin de là. Il s’est engagé alors qu’il n’avait que 19 ans, il rentrait tout juste dans la vie adulte. J’ai mis plusieurs années avant de
réussir à travailler pleinement sur ses œuvres car j’ai aussi grandi avec le spectre de ce mal-être qui restait largement perceptible, même après son départ.
Il m’a fallu laisser de côté quelques temps cette figure paternelle que ma mère aimait plus que tout afin d’apprendre à faire connaissance avec mon grand-père, un homme que je n’ai pas eu l’occasion de connaître personnellement et qui m’est pourtant si proche. C’est en effectuant des recherches historiques et en regroupant certains témoignages de ses proches que j’avance. Je ne saurais pas comment l’expliquer, mais j’ai toujours eu une connexion particulière avec mon grand-père, et ce depuis petite. J’ai toujours su que je travaillerai avec lui à un moment donné et ma mère le savait aussi.
Quelle est la finalité du site internet ?
L’idée principale est de faire connaitre au plus grand nombre cet homme incroyable qu’était Michel et de permettre à chacun de pouvoir faire un rapprochement entre son vécu et le sens de ses écrits parce que les deux sont indissociables.
Comment se passe la construction biographique, avait-il laissé des documents? Faites-vous appel à des proches pour récupérer leur témoignage, ou bien est-ce plus un travail d’enquête au long cours en recoupant des sources par divers biais ?
J’ai énormément de chance, car ma grand-mère et ma mère ont conservé tous les documents militaires de Michel, ma grand-mère a laissé beaucoup d’écrits et de témoignages. Il y a aussi les biographies de Georges dans lesquelles je trouve de précieuses informations pour comprendre le contexte lié à l’enfance de Michel. J’ai donc avec moi pas mal d’éléments qui me permettent de former une bonne base avant de faire un travail de recherches plus poussé sur le parcours de Michel.
La suite de mes recherches se font aux services historiques de la défense ou en interrogeant les archives des départements relatifs aux périodes concernées, de véritables mines d’informations.
Je lis aussi pas mal d’ouvrages, celui qui m’a le plus aidé à avancer jusqu’à ce jour est incontestablement Résister sur les mers de Luc-Antoine LENOIR grâce auquel j’ai pu prendre pleinement conscience de l’étendu du parcours historique des résistants des Forces Navales
Françaises Libres, mais aussi de la dureté des guerres en mer. On en parle très peu et c’est bien dommage, cela donne une vision faussée de ce que vivaient les marins et donc de l’ampleur des traumatismes qui pouvaient en résulter.
Concernant le mal de guerre, je m’imprègne beaucoup de témoignages récents, tel celui de Julien BRY. Son écrit “le regard vide” est très puissant. Les travaux de Louis Crocq, psychiatre des armées et spécialiste du mal de guerre, sont aussi très impressionnants. Une fois plus avancée sur la partie seconde guerre, je compte m’atteler à son parcours sur les terres du Brésil à l’adolescence puis à l’âge adulte. Partie toute aussi passionnante.
En tant qu’auteur, comment vivait-il le fait d’être le fils de Georges Bernanos ? Était-ce un frein à son écriture ou sa créativité, ou bien s’en détachait-il complètement ?
Michel écrivait des poèmes dès l’adolescence et les montrait de temps en temps à son père qui les aimait beaucoup. Je ne pense pas qu’être le fils de Georges était un frein à sa créativité, ni à son écriture, sincèrement. Par contre, cela engendrait une quête d’identité d’autant plus forte chez l’auteur qu’il était.
Comment est-il devenu écrivain ? Dans la biographie, vous expliquez qu’il a démarré la poésie très tôt, mais a-t-il toujours été clair pour lui qu’il voulait devenir écrivain ?
Je pense que tous les écrivains ont la passion qui vit en eux dès le plus jeune âge, c’est un don. A mon sens, chaque écrit est amené à trouver son lecteur. Tout écrivain porte en lui cette formidable passion qui l’anime et l’incite à pratiquer ce métier à un moment donné.
Malheureusement, on ne peut que vivre difficilement de l’écriture et beaucoup d’entre eux sont forcés de s’orienter vers d’autres métiers pour s’assurer des revenus fixes. C’est la même chose pour Michel. Il faut aussi se replonger dans le contexte en 1946, les jeunes qui s’engagent dans les FNFL en ressortent à l’âge de 23-24 ans avec pour formation essentielle celle de la marine et l’expérience de la guerre. Ils n’ont pas fait particulièrement d’études et doivent se former à un autre métier sans y avoir véritablement pensé jusque-là, leur préoccupation principale étant de rendre sa liberté à leur pays. Dans les faits, très peu de marins FNFL rejoignaient les rangs de la marine nationale, car le contexte d’après-guerre y était particulièrement tendu. Michel a donc pratiqué des métiers différents afin de pouvoir continuer à écrire tout en assurant des revenus fixes à sa famille.
En parcourant sa biographie sur votre site, nous avons l’impression que deux grandes périodes vont forger l’homme qu’il a été, d’une part son adolescence sur la route et notamment sa période au Brésil, puis la Seconde Guerre mondiale et son implication dans la Résistance à partir de ses 19 ans. Ces éléments, furent-ils déterminants dans son
parcours d’auteur en devenir ?
Michel a eu une vie d’aventurier dont les périodes les plus marquantes vont s’avérer déterminantes dans son parcours d’auteur.
En 1934, il a 11 ans. Michel vit avec sa famille à Palma de Majorque. La guerre civile d’Espagne commence officiellement au 17 juillet 1936. Son père s’engagera aux côtés des civils opprimés et sera témoin, malgré lui, de plusieurs exactions commises en pleine rue. Je ne sais pas comment Michel a vécu cette situation, ni s’il en a été aussi témoin. Tout en est-il qu’ils quittent Palma de Majorque en 1937 car le contexte est trop dangereux pour la fratrie d’autant que leur père est violemment menacé par la répression franquiste. Il faut que j’étudie plus amplement cette période.
1938, la famille part pour le Brésil et s’installe dans le Minas Gerais. Michel y travaillait avec les gauchos brésiliens qui sont chargés de garder les troupeaux de bœufs au cœur de plusieurs hectares de terres vierges. Les gauchos, ce sont en faites les cow-boys sud-américains. Ils attrapaient les bœufs au lasso à dos de cheval et Michel le faisait également à 15 ans, il montait les chevaux sans selle, ni éperons et était aussi chargé de dresser les jeunes poulains.
En 1942, Michel a 19 ans, il s’engage dans les forces navales françaises libres. Le convoi par lequel il rejoignait Londres eu départ de Cap-Town fut violemment attaqué par l’ennemi, ce qui formait déjà une terrible entrée en matière avant même de mettre un pied en Europe.
Une fois arrivé à Londres, il sera nommé matelot canonnier/opérateur radar à bord d’un chasseur de sous-marins : le chasseur 12. Il faut savoir que les marins FNFL étaient en grande majorité très jeunes et sans aucune formation, ni expérience. C’est ainsi qu’ils étaient formés à la hâte par manque de temps à la vue du contexte et se retrouvaient embarqués en plein cœur des batailles navales de la seconde guerre mondiale face à la très redoutée Kriegsmarine. Le chasseur 12 était chargé de protéger les convois et secourir les marins en difficultés, il patrouillait principalement dans la Manche mais effectuait aussi des missions en mer du nord à proximité des côtes de Norvège occupées. Il participera également au débarquement du 6 juin 1944 jusque sur les plages d’Utah Beach ainsi qu’à la bataille navale qui s’ensuivait en ne prenait fin qu’à la mi-août 1944. Lorsque nous étudions les guerres en mer, nous prenons progressivement conscience du déroulement de deux guerres parallèles mais indissociables en 1939-1945 : celle sur le continent et celle en mer.
Au retour de la guerre, nous sommes en 1946, Michel passera quelques mois à Entrepierres près de Sisteron dans les alpes provençales avant de rejoindre le Brésil, mais cette fois-ci dans l’Amazonas.
Ces quelques mois à Entrepierres correspondent à un moment clé : le retour à la vie civile. Michel y faisait de très nombreuses promenades en solitaire, il y retrouvait cette nature qu’il aimait tant.
Sisteron, c’est un peu le sas de décompression de Michel et je pense que cette période qui suit tout juste la guerre est d’une importance capitale, même si elle n’est que de quelques mois.
Puis l’Amazonas fin 1946 ! Michel retrouve son Brésil pendant 1 an est demi. Il est contrôleur dans les cultures d’hévéas près de Manaus. Son emploi consistait principalement à vérifier les balles de caoutchouc qui étaient formées par les Indiens. Il faut savoir dans un premier temps que les Indiens étaient très peu rémunérés sur le caoutchouc qu’ils récoltaient et pour subvenir à leurs besoins, ils étaient tentés de trafiquer les balles en augmentant leur poids. Il arrivait assez souvent qu’on découvre le cadavre d’un contrôleur au petit matin, cet emploi
n’était donc pas très sûr mais le salaire était du coup surdimensionné, sans doute une sorte de prime de risque. Michel, conscient de l’injustice liée à la situation, avait négocié une partie de sa paye avec son équipe afin qu’ils soient mieux indemnisés. Cela lui vaudra d’avoir non seulement les balles les moins trafiquées de toute la région mais aussi d’asseoir une solide réputation auprès des Indiens du secteur. Aussi, il sera régulièrement missionné afin d’accompagner des fortunés en mal de sensations fortes lors d’expéditions dans la forêt amazonienne, c’est donc la raison pour laquelle il décrit aussi bien cette incroyable forêt dans Le Murmure des dieux. Toutes ces périodes vont avoir un impact majeur sur son œuvre car nous allons les retrouver autant dans ses poèmes que ses romans.
Le choix du portait psychologique de ses personnages en est fortement influencé, l’ambiance angoissante que l’on va retrouver dans une grande partie de ses écrits, la description des scènes, le choix des lieux. C’est dans son vécu que Michel va puiser l’essentiel de son inspiration.
Comment expliquez-vous l’utilisation de pseudonyme pour la publication de ses romans ?
Tout d’abord et comme le disait Michel, nous sommes sur deux registres totalement différents. Dans une interview de FRANCE SOIR du 7 mai 1964, Michel apportait la réponse suivante à la même question :
« Par exemple, si je vois un livre de Dostoïevski, je ne suis pas obligé de me rappeler que son
prénom est Fédor. Le brave type qui prendrait mon livre et se retrouverait nez à nez avec un
anaconda au lieu d’un curé de campagne, il serait pas content.»
Par ailleurs, Michel voulait surtout, comme tout individu, exister par lui-même professionnellement. Imaginez-vous que l’on compare sans cesse votre travail à celui de votre père ou de votre mère ? Que celui-ci ne soit évalué constamment qu’au travers de ce que vos parents ont produit avant vous ? C’est ce que Michel vivait de son vivant et encore beaucoup aujourd’hui. Les œuvres de Georges et de Michel sont toutes deux passionnantes mais non comparables. Le lecteur de Georges ne sera pas forcément celui de Michel et vice-versa. La manière d’écrire reste très personnelle et se forge en fonction non seulement de ce que l’on est, mais aussi de nos chemins de vie qui sont propres à notre histoire.
Je pense que cette quête d’identité, cette absence de droit à exister professionnellement a été d’autant plus difficile à vivre pour Michel qui souffrait déjà d’un mal de guerre qui ne cessait de se développer car non soigné.
Ses œuvres romanesques semblent être condensées sur une très courte période, quatre ans seulement, mais en même temps, ce fut une période extrêmement riche en création de texte. Était-ce spontané de sa part (comme s’il répondait à une pulsion dans l’urgence.), ou bien avait-il travaillé des ébauches de ses textes avant cette période ? A ma connaissance, il n’y avait pas d’ébauches de romans travaillés plus tôt, ils ont tous été écrits au moment venu, donc sur ces fameuses quatre dernières années. D’après mes recherches et les témoignages, cette période correspond au moment où les symptômes du syndrome de stress post-traumatique étaient au plus fort. Malheureusement et comme beaucoup d’engagés de l’époque, il ne bénéficiait d’aucun suivi véritablement adapté à ce qu’il vivait. L’écriture lui a permis de garder la tête hors de l’eau, d’extérioriser tout ce mal-être qui est une véritable torture pour les personnes qui vivent avec ce syndrome. D’autant qu’il ne savait pas vraiment de quoi il souffrait, ce qui est, à mon sens, encore plus difficile à gérer. Par ses univers romanesques aussi, je pense que l’écriture lui permettait de s’échapper, de retourner dans ce Brésil qu’il aimait par-dessus tout et qui lui manquait terriblement. Michel était un homme des grands espaces, il n’était pas fait pour la vie citadine. Je pense que le fait de s’installer en ville ne l’a pas aidé. Enfin, concernant les poèmes, il semblerait qu’il ait commencé à les écrire d’une manière plus régulière peu de temps avant de partir à Londres.
On distingue deux grandes catégories dans ses romans, les romans fantastiques d’un côté et les œuvres policières de l’autre. Était-il amateur de ces deux genres, ou bien est-ce ses idées qui ont conditionné l’écriture de ses romans en développant tantôt une histoire fantastique ou policière ?
Dans les livres de Michel, j’ai du Lovecraft, je pense qu’effectivement, il aimait le fantastique et ce genre lui convenait tellement bien ! Pour les romans policiers, il les a écrits au départ pour vivre de sa plume, mais il a réussi à leur donner une dimension fantastique et aventure, je suis persuadée que c’est la raison pour laquelle j’ai autant aimé.
J’ai lu tous ses romans policiers d’une traite, on y trouve notamment “On lui a fait mal “, qui m’a permis de comprendre le sens de “La Montagne Morte de la Vie”. J’ai tremblé en lisant “les nuits de Rochemaure” appréhendant l’ouverture d’un placard au contenu lugubre, je me suis aussi sentie comme transportée dans un film d’Indiana Jones en me baladant dans les sous-sols du manoir de “la Grande Bauche” !
Comment s’inscrit sa Poésie ? Fonctionne-t-elle en symbiose stylistique et thématique avec ses romans, ou bien découvrons-nous un autre visage de Michel Bernanos ?
Sa poésie est vraiment en symbiose avec le contenu de ses romans. Tous ses écrits sont indissociables, ils s’apparentent à une autobiographie que je cherche à décrypter. Cependant, avec la poésie, nous sommes sur des textes bruts, écrits à un instant T. Je trouve que le lien à faire avec l’auteur est plus simple, plus direct. Lorsque nous lisons par exemple “Fin d’une vie” avec des passages comme :
« j’ai dans ma main la ligne de vie des fusillés […]
j’ai dans l’oreille le chant des balles, le mur est rouge.
De sang d’honneur, mes joues sont creuses sous la cagoule.
Demain il fera froid sous le ciel gris des hommes, demain il fera nuit. »
On a assez rapidement un aperçu de ce que Michel a connu. Ses poèmes m’ont aussi conforté dans le fait que Michel était touché par ce mal de guerre.
Nous ressentons une urgence dans son écriture, dans “La montagne morte de la vie” notamment, nous ressentons presque une fuite en avant parcourir tout le texte. Comment expliquez-vous cela ?
Il l’a écrite en 19 jours, c’est rien pour l’écrit qu’il a produit. Avec La Montagne Morte de la Vie, Michel a tout simplement posé sur papier l’état de son esprit en proies au mal-être dont il faisait l’objet. Cet écrit vient du plus profond de son âme, c’est ce qui le rend d’autant plus
impressionnant à mon sens.
Quelle part de vécu de l’auteur transparaît dans ses textes ? On croit le deviner dans son cycle fantastique, dans cette nature très sud-américaine, semblant faire totalement écho avec son adolescence.
Oui, c’est intéressant de voir que chaque roman correspond à une ou plusieurs périodes de sa vie. Nous avons “l’envers de l’éperon” qui se déroule dans le Minas-Gerais, période de son adolescence, “La Montagne morte de la vie” qui se déroule dans un univers totalement fantastique, mais dont l’atmosphère est celle de la guerre, puis “Le Murmure des dieux” dans lequel le lecteur est emmené en plein cœur de la forêt amazonienne près de Manaus. En fonction de l’avancée de mon travail, je ferai sûrement de nouveaux liens entre les autres romans et les influences liées à certaines périodes de sa vie.
La violence humaine et la nature semblent au cœur de ses œuvres, presque comme une signature. Ici aussi, était-ce conditionné par son vécu (Brésil, la résistance, Etc…)?
Oui je pense. Michel était extrêmement déçu par certaines formes de la nature humaine, il faut dire aussi que la guerre est passée par là entre temps. Il l’avait côtoyé déjà enfant alors qu’il vivait à Palma de Majorque pendant la guerre civile d’Espagne, puis l’a retrouvé plus brutalement encore lors de ses années de résistance. Il aimait mesurer la nature humaine à la pureté de la nature animale et végétale.
Michel était un homme des grands espaces, il aimait plus que tout la nature, c’est sans doute la raison pour laquelle il en a fait son alliée dans ses romans. La nature de Michel c’est celle qui rappelle à l’ordre, celle qui punit, qui est imprévisible, prends des formes impitoyables, celle qui tente de sauver les âmes… Tout dépend du roman que l’on a dans les mains.
Il faut aussi savoir que chaque roman de Michel comporte un message qu’il cherche à faire passer. C’est avec passion et une profonde conviction que Michel dénoncera au travers de ses écrits : le mal fait aux civilisations indiennes et la surexploitation de la forêt amazonienne (Le Murmure des dieux), la tyrannie de l’homme allant même jusqu’à dépasser le diable lui-même (Ils ont déchiré son image), le véritable sens de la vie face aux priorités d’ordres pécuniaires (La grande Bauche – La forêt complice), l’impact des guerres sur la vie humaine (La Montagne Morte de la Vie – On lui a fait mal), les conséquences des trafics de drogues dures encouragés par la corruption dans le Brésil des années 50-60 (La Neige qui tue), etc.
Nous constatons que Michel est en avance sur son temps, car à étudier l’histoire, il me semble que la déforestation de la forêt amazonienne et la corruption via les trafics de cocaïne n’étaient pas des sujets de prédilection en 1963. La Neige qui tue fut d’ailleurs sélectionnée parmi les 10 meilleurs romans pour le prix du Quai des orfèvres de 1964, mais jugée trop engagée par le jury de l’époque qui lui avait demandé de retravailler son texte.
Lors de ma lecture de “La montagne morte de la vie”, j’ai été frappé par les similitudes thématiques et stylistiques avec le courant littéraire anglo-saxon (la weird Fiction), comme si il était en avance sur son temps. Avez-vous connaissance d’auteur/rices français.es ou étranger/ères qui revendiquent l’influence de Michel Bernanos ? Je pense en particulier à Jeff VanderMeer.
Je n’ai aussi connaissance que de Jeff VanderMeer, tout comme vous. Il faut savoir que “La Montagne Morte de la Vie” est très appréciée aux Etats-Unis, les critiques y sont aussi très encourageantes.
Comment aborder ses œuvres en 2022, par quels œuvres conseillez-vous de démarrer pour quelqu’un qui aimerait découvrir l’univers de Michel Bernanos ?
Il faut déjà savoir que La Montagne Morte de la vie est unique en son genre, c’est la plus proche du mouvement Weird Fiction. Ses autres romans se déroulent dans des environnements fantastiques, mais plus réalistes.
Citons par exemple “Le Murmure des dieux”. Tout ce que l’auteur décrit est basé sur du réel, nous sommes en plein cœur de la forêt amazonienne. Cependant, et il faut dire aussi que le lieu s’y prête, il arrive à apporter une dimension totalement fantastique à chacune de
ses descriptions. Dans “L’envers de l’Eperon”, la nature se rebelle à nouveau et Michel apporte une dimension propre à la Weird Fiction au cœur d’un roman dont l’histoire se déroule dans le Minas Gerais. Cette fois-ci, la weird-fiction s’insère dans le réel. Avec “La Grande Bauche”, classée dans les romans policiers à l’origine, nous sommes sur de l’angoisse mêlée à du fantastique et de l’aventure. Très honnêtement, même si ses écrits tournent autour d’un ensemble de genres déterminé, chaque roman de Michel est assez différent, on ne va pas les lire de la même manière. Le plus fou est qu’ils restent, à mon sens, indissociables. Je ne saurai pas comment conseiller quelqu’un quant au roman à choisir en premier, tout dépend des goûts du lecteur et du genre sur lequel il va le plus accrocher. C’est cette continuité de messages qu’il souhaite faire passer, ces injustices qu’il voulait dénoncer qui apportent une dimension toute particulière à son œuvre, aussi parce qu’il défend de nobles causes qui ne peuvent que faire l’unanimité car elles sont humaines et
bienveillantes.
Des éditions comme L’Arbre Vengeur et Le Castor Astral ont entrepris un travail de réédition des œuvres de Michel Bernanos, reste-t’il des textes inédits de l’auteur (notamment dans sa poésie et ses nouvelles) ? Et seront-ils publiés un jour ?
Oui il y a des écrits inédits et je compte bien travailler dessus dans les mois à venir. Je pense que ce sont surtout des poèmes. Je veux aussi que ses romans « policiers » soient à nouveau publiés parce qu’ils sont complémentaires avec le reste. La qualification « policiers » leur a été donnée depuis des années, mais ils mélangent plusieurs genres en réalité : on y retrouve de l’aventure, du fantastique à
nouveau, de l’angoisse aussi.
Que nous réserve comme belles surprises le site www.michelbernanos.fr dans les mois/années à venir?
Mon site évolue en fonction de mes découvertes liées à mon travail de recherches, mais aussi de l’actualité. Les pages liées à la biographie de Michel évoluent sans cesse. Je pense aussi y insérer des vidéos avec des extraits de ses romans. J’ai encore pas mal d’idées en tête !
Merci pour cette belle interview, bien fouillée.
Si l’auteur est aussi passionné et passionnant que sa petite fille anne-charlotte Letourneur alors ses oeuvres doivent etre de jolies pepites à decouvrir.
Merci pour ce partage
Sylvie
Merci beaucoup, très touché si ça vous donne envie