Robert Coover, figure quasi-tutélaire de la littérature américaine, et plus particulièrement du postmodernisme, se faisait rare chez nous depuis quelque temps. Auteur à la fois singulier et exigeant, trouver ses anciens livres (édités en français) relève du parcours du combattant, tant il semble souffrir de ce qu’il propose.
Et nous pouvons le comprendre quelque part. Un auteur comme celui-ci, de cette trempe-là, n’est pas précisément ce qui fera le top des ventes et fera tourner la trésorerie des éditeurs et libraires. Qu’à cela ne tienne, voici que débarque en 2024, un nouveau roman de l’auteur, qui pour ne pas changer, vient à nous surprendre par la thématique abordée et le style proposé.
Voici donc « Huck Finn et Tom Sawyer à la conquête de l’ouest », et oui, vous ne lisez pas de travers, et ne vous êtes encore moins pris une pile de livres sur le coin de la tête, nous sommes bel et bien face à une nouvelle aventure du célèbre duo de Mark Twain.
Petite précision, néanmoins, Tom n’apparaîtra que brièvement, l’histoire étant centrée sur Huck et surtout ce dernier est le narrateur. D’ailleurs le titre original est « Huck out west ».
Ici nous suivons Huck, paumé, en prise avec un chercher d’or, pour un caillou qu’il a trouvé et qui ne l’intéresse même pas. Il s’agit bien entendu d’un point de départ. Très vite, Huck nous met dans la confidence, avec son franc parlé légendaire, et revient sur les péripéties qui l’ont emmené jusqu’ici et tout ce qui en découle ensuite. Guide, éclaireur, bandit, dresseur de chevaux, gardien de vaches, Huck nous raconte son histoire. Car, ici, il ne s’agit plus de Huck et Tom enfants, les années ont passées, ils ont grandi, et ont vécu quelques aventures depuis.
Au-delà du simple exercice de style, Robert Cover s’emploie autant à l’hommage à Mark Twain, qu’à bâtir avec une grande cohérence et finesse une histoire à part entière. Ainsi en reprenant Huck où Twain l’avait laissé, ce dernier construit par le truchement des aventures de notre héros, le portrait d’une Amérique en pleine construction en mettant en lumière les précoces mutations qui nous appelons aujourd’hui “société libérale”. Ainsi l’histoire raconté par Huck est tantôt lunaire, tantôt désespéré, souvent rempli d’individus, de groupes voir de sociétés en pleine errance, parcourant les terres américaines en quête de sens et surtout d’avenir.
Une manière habile de la part de l’auteur pour raconter, selon son regard, comment se côtoyait cette proto-société unifiée, comment les différents éléments interagissaient. Ainsi, Huck au travers de ses aventures, et de son regard devient spectateur de l’Histoire qui se construit dans l’instant et pose ici et là quelques réflexions pertinentes sur l’absurdité des conquêtes, des exterminations ou encore de la ruée vers l’or.
Finalement, le roman de Robert Coover, sous ses airs innocents déploie tout le talent qui lui est reconnu. Partant d’un hommage, il apporte une nouvelle aventure, un nouveau regard, et perpétue ainsi cette tradition du roman d’aventures, des grands espaces. Une belle manière de nous faire côtoyer une dernière fois Huck et Tom dans l’Amérique naissante.
« Huck Finn et Tom Sawyer à la conquête de l’ouest » est un grand roman de Robert Coover, et la superbe traduction de Stéphane Vanderhaeghe vient parfaitement porter l’adaptation en français, tout en s’autorisant quelques clins d’œil au regretté Bernard Hoepffner. Un incontournable à lire et relire.
Éditions Chambon,
Trad. Stéphane Vandrhaeghe,
318 pages,
Ted.