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Roberto Bolaño – 2666

Bien que nous ayons une reconnaissance d’estime, et quasi unanime, pour l’œuvre de Roberto Bolaño, il est intéressant de se poser les deux questions suivantes : pourquoi « 2666 » est l’œuvre culte de l’auteur, et mérite-t-il sa réputation de roman du vingtième siècle ?

Il faut savoir que ce roman, est en fait un projet de cinq romans, qui furent regroupés par son éditeur en un seul titre, après la mort de Roberto Bolaño. La dernière partie étant tronquée de sa résolution, l’auteur étant décédé avant de l’achever.

Aussi, il est important de détailler les parties.

La partie des critiques :
Quatre critiques, le Français Pelletier, l’Italien Morini, l’Espagnol Espinoza et l’Anglaise Norton sont des amis réunis autour leur passion commune pour l’œuvre de l’écrivain allemand Benno von Archimboldi. Un auteur faisant étrangement penser à Thomas Pynchon de par le mystère qui l’entoure. Cette obsession commune va les mener au Mexique, sur les traces de l’auteur, plus précisément à Santa Teresa.

La partie d’Amalfitano :
Óscar Amalfitano, un professeur de philosophie, enseigne à l’université de Santa Teresa avec sa fille Rosa après avoir été enseignant à Barcelone. Nous découvrons son passé, la mère de Rosa par intermittence, puis la bascule d’ Óscar dans une forme de folie contemplative, lorsqu’il tombe, dans ses cartons sur un étrange manuel de géométrie.

La partie de Fate :
Quincy Williams, alias Fate, est un journaliste afro-américain se retrouve à devoir couvrir la rubrique sport de son journal, après le décès de son collègue qui s’occupait de cette section. Envoyé à Santa Teresa pour couvrir un match de Boxe, il entend parler des assassinats de femmes dans la ville. Une rencontre avec une journaliste mexicaine va le pousser à enquêter sur cette affaire.

La partie des crimes :
L’auteur nous plonge dans l’enfer de Santa Teresa, par une liste accumulant chaque meurtre, il nous permet de prendre la pleine mesure de ce qui se déroule dans cette ville frontière. En parallèle, nous suivons les différentes enquêtes autour des meurtres.

La partie d’Archimboldi :
Nous découvrons enfin le mystérieux Benno Von Archimboldi, de son enfance à nos jours, un roman d’apprentissage qui donne à voir le devenir « écrivain ».

Il serait tout aussi pertinent de parler de chaque partie individuellement, que de parler du bloc « 2666 ». Car ici tout communique ensemble. Chaque partie répond aux autres. Outre Santa Teresa, lieu commun où chaque protagoniste finit par transiter, nous assistons à la solitude de chaque trajectoire, ce qui peut-être résumerait au mieux l’œuvre.

Nous avions déjà ce sentiment de solitude partagée dans ses autres livres, en particulier dans « Amuleto » et « Les détectives sauvages », mais ici, la solitude devient presque lieu à part entière, où nous pouvons sentir son ampleur, sa violence et son désespoir.

Ce qui est brillamment illustré par un Roberto Bolano malicieux, qui a su jouer avec les codes des genres dans chaque partie. Ainsi, comme un jeu des variations, l’auteur nous plonge dans le « Campus novel », dans le roman d’enquête ou encore dans le roman d’apprentissage, sans jamais perdre en cohérence ou en intensité.

Il faut tout de même faire une distinction dans l’œuvre. « La partie des crimes » est à part, un monde dans un monde. Roberto Bolaño, par un principe d’accumulation nous plonge littéralement dans l’enfer de Santa Teresa et le désert de Sonora. Et il ne faut pas longtemps pour comprendre que l’auteur parle ici des disparues de Ciudad Juarez et de l’inaction et de la corruption en place au Méxique. Mais ce qui devient magistral de cette « partie », c’est la pudeur avec laquelle Bolaño nous fait ressentir l’horreur du lieu sans jamais tomber dans le vulgaire ni dans le voyeurisme déplacé. Une finesse d’analyse, une prouesse presque journalistique documentant une partie de l’enfer sur terre.

« 2666 » fonctionne comme un tout, dense, captivant, brillamment écrit. C’est un livre qui nous plonge autant dans les obsessions de l’auteur que dans la violence du réel. Et c’est peut-être bien pour cela que son œuvre, aujourd’hui, bénéficie de son statut de culte. Bien que le terme « livre monde » soit devenu un espèce de lieu commun pour parler de livre ambitieux, mais n’entrant dans une aucune case. Tout comme certains livres de Richard Powers, William H Gass ou encore Thomas Pynchon, Roberto Bolaño, avec « 2666 » a su proposer un livre monde dans le sens le plus noble et grandiose du terme.

Une conclusion à une bibliographie passionnante, et des livres qui se répondent les uns les autres, débordent d’un titre à l’autre, pour créer un tout foisonnant, riche, captivant et définitivement à part.

Editions Points,
Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio,
1176 pages,
Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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