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Séverine Danflous – Brune Platine

Les liens qui unissent la littérature et le cinéma sont multiples, et ce, dès la naissance du septième art. Toutefois, il semblerait que les passerelles qui traversent les deux arts soient à sens unique, à savoir de la littérature vers le cinéma. On pense évidemment aux nombreuses adaptations de romans ou nouvelles (combien de vies faudrait-il pour répertorier toutes ces adaptations ?), mais également aux biopics d’écrivains ou poètes (récemment Emily Dickinson a eu droit à sa biographie cinématographique, après, entre autres Sylvia Plath ou Thomas Wolfe). On peut aussi évoquer ces très nombreux écrivains devenus scénaristes à Hollywood, pour le meilleur et pour le pire (souvent le pire, d’ailleurs, quand on pense à John Fante ou Francis Scott Fitzgerald, perdus dans un marasme créatif et éthylique).

Mais qu’en est-il du cinéma qui déborde sur la littérature ? Michael Cimino est l’un des rares cinéastes à s’être lancé en littérature (Big Jane, publié dans la collection la Noire de Gallimard), suivi récemment par John Boorman (dont Marest publie Tapis écarlate, on en reparlera) et les adaptations littéraires d’œuvres cinématographiques n’existent pas (cela dit, ça pourrait être une idée).

Non, définitivement, les liens qui unissent les deux arts sont déséquilibrés, le cinéma puisant sans contrepartie dans la littérature. C’est le constat que l’on pouvait faire, jusqu’à la sortie de ce foisonnant et précieux Brune Platine, signé Séverine Danflous, paru aux très cinéphiles éditions Marest.

Tout le roman est une déclaration d’amour au cinéma, à son histoire, à ses références, à son langage, à ses codes. Nous voici, dès la première ligne, à la Cinémathèque, au moment de l’exposition Brune/Blonde, traitant des cheveux et leur caractère (esthétique et psychologique) au cinéma. Paul rencontre Camille (pour les puristes, le nom des deux protagonistes du Mépris de Godard). Ensemble, ils travaillent, théorisent, creusent un scénario expérimental, avec comme point de départ Pénélope attendant Ulysse, se languissant dans quelque bas-fond interlope, miroir inversé d’un dispositif cinématographique stimulant que Camille et Paul s’évertuent à affiner et réinventer.

Ce roman est cinéma. Le thème, on vient de le voir. Mais aussi les dialogues, que l’on pourrait croire signés François Truffaut. L’ambiance est Nouvelle Vague, les mots dits ne sonnent pas jutes, ce qui est juste, c’est le signifié qu’ils renferment. Et c’est le plus important. Les jeux de mots fusent, les images sont limpides, le défi intellectuel est grisant.

La première partie du roman est extrêmement référencée, et c’est une gymnastique enchanteresse que d’essayer de retrouver ces références, de faire jouer les correspondances entre les films. Pêle-mêle : la Nouvelle Vague, donc, mais aussi le cinéma américain d’hier et d’aujourd’hui (Mankiewicz esquissé, David Lynch révélé), ou asiatique. Ce jeu de citations et d’analyses de film est d’ailleurs si habile que l’on est tenté de se repasser les extraits évoqués, voire de regarder les films en question (à titre personnel, le tour de force est d’autant plus grandiose que le livre m’a donné envie de revoir 2046 de Wong Kar Wai, alors que j’avoue sans honte m’être endormi d’ennui lorsque je l’avais vu au cinéma lors de sa sortie).

Puis on glisse vers autre chose. Quelque chose qui aurait plus à voir, dans la forme et dans le style, avec la littérature et moins avec le cinéma, bien que la caméra et sa place sont, plus que jamais, au cœur du sujet. On laisse la citation et les parties suivantes du roman font la part belle à l’histoire d’une création, d’un cheminement intellectuel, d’une écriture de scénario et d’un tournage minimaliste dans des chambres d’hôtel. C’est bouillonnant d’intelligence et c’est proprement fascinant. Un véritable moment de cinéma, en littérature.

La lecture de ce roman très réussi est aussi l’occasion de braquer les projecteurs sur les très belles éditions Marest, au catalogue naissant et déjà passionnant : des écrits de Hitchcock et de John Boorman côtoient un essai sur Wes Craven ou une déclaration d’amour à Roman Polanski, tandis qu’une large place est faite au cinéma expérimental à travers Jonas Mekas et Guy Maddin. Sans vouloir forcer le teaser un peu grossier, on reparlera ici très bientôt des éditions Marest. Patience…

Alexandre

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de Séverine Danflous

Marest éditeur

311 pages

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Chroniqueur

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