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Lot49 les dix ans

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2004 est une année unique, remplie de troublants évènements. Voyez plutôt par vous-même, Facebook est lancé aux Etats-Unis, la loi sur la bioéthique interdisant le clonage humain est votée, Jean-Paul II est de passage à Lourdes, le feuilleton ô combien romanesque « Plus belle la vie » est diffusé, le viaduc de Millau est inauguré, Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban sort au cinéma.
Dans le monde, des évènements encore plus étranges se produisent. Un séisme de magnitude 9,0 sur l’échelle de Richter provoque un Tsunami dans l’océan Indien, un train de marchandises explose en Iran provoquant la mort de 320 personnes, George W. Bush est réélu, le dernier épisode de la série Friends est diffusé et le Bigdil cesse.
Dans ce terreau incohérent et propice à l’alchimie et l’ésotérisme apparaît la conspiration de deux personnages atypiques. De leur collaboration naît une entité mystérieuse, protéiforme, se dévoilant à coup de sombres ouvrages, qui paraîtront complètement abscons pour le citoyen lambda. Mais la rumeur gronde et très vite des colporteurs vont rependre la rumeur et révéler le complot, la conspiration Hofmarcher/ Claro. 10 ans après son lancement nous avons eu la chance de pouvoir leur poser quelques questions sur la genèse de ce projet, son ambition et le devenir de cette étrange collection qui se nomme « Lot49 » :

GASS_Letunnel1/ Bonjour, comment est né le projet ? Quelle fut l’envie de départ qui vous a poussé à réaliser cette collection ?

Claro : Arnaud Hofmarcher avait lu dans un entretien que j’avais donné au Nouvel Observateur que je cherchais un éditeur pour Le Tunnel, de William Gass. Il m’a contacté, et au fil des discussions nous sommes convenus qu’un tel texte ne pouvait pas sortir comme ça, qu’il lui fallait un « écrin ». L’idée d’une collection a fini par germer, d’autant plus que nous avions d’autres titres qui nous démangeaient.

2/ Lot49 doit bien sûr son nom à un roman de Pynchon qui s’impose comme parrain d’une certaine littérature américaine et comme figure tutélaire des auteurs présentés chez Lot49. S’il fallait présenter brièvement la collection à quelqu’un qui ne connait pas encore cet auteur comment devrait on s’y prendre ?

Claro : On pourrait lui expliquer que le « 49 » renvoie au département de Maine-et-Loire, puisque Arnaud Hofmarcher habite à Saumur, mais risquerait de l’emmener sur une fausse piste. Lot49 se veut un laboratoire de fictions contemporaines, où chaque livre tente d’inventer sa propre forme, de faire délirer la narration, d’éviter les sentiers battus, etc. Mais pour nous, la seule façon de présenter la collection, c’est de prendre le lecteur, de le plier en deux, puis quatre puis huit, et de le glisser entre deux pages d’un livre. Ça marche à tous les coups.

3/ Est-ce que le fait de démarrer la collection par un auteur aussi pointu et audacieux que Richard Powers fut difficile à faire accepter auprès de l’éditeur ou aviez-vous sa confiance totale du début ? Car on imagine que lancer une collection avec un auteur inconnu en France fut un sacré défi.

Arnaud Hofmarcher : Le premier titre que nous avons signé pour la collection était Le Tunnel de William Gass. Un écho dans la presse a alors qualifié cette entreprise de « gouffre financier assuré ». Les choses étaient donc claires dès le début. Et le cherche midi était parfaitement conscient du risque que représentait cette collection. Nous ne nous étions pas engagés à gagner d’argent, mais à ne pas en perdre, la nuance est importante. Le pari était de taille. Et Lot 49 fête aujourd’hui ses 10 ans. Nous pouvons donc le considérer comme gagné. Le soutien des libraires, de la presse et des lecteurs nous a ainsi permis de faire exister cette collection dont le compte d’exploitation, s’il n’est pas vraiment comparable à celui d’un Guillaume Musso, lui permet néanmoins d’être viable, grâce en particulier aux subventions du CNL et à notre partenariat poche avec 10/18.

91CISmwh8YL._SL1500_4/ Avec un projet ambitieux et une réputation de littérature d’avant garde pas forcément très grand public, est-ce que cela a été simple de trouver une structure pour accueillir la collection? Disposiez-vous de relais au niveau des médias et des librairies ?

Arnaud Hofmarcher : Cette collection est née d’une rencontre entre un traducteur qui, avait frappé, en vain, à la porte de quelques maisons d’édition pour leur proposer des textes exigeants, et d’un directeur de collection qui attendait depuis longtemps un complice pour publier ces mêmes textes. Notre enthousiasme a fait le reste. Nous n’avions pas de relais particuliers auprès des libraires ni des médias, le cherche midi publiait à l’époque très peu de littérature étrangère, son image n’avait rien de très « littéraire », tout s’est fait pas à pas. Comme quoi l’inconscience peut parfois être meilleure conseillère que l’étude de marché.

5/ Y’a t¬il un dénominateur commun à tous les romans publiés chez vous, une thématique ou une façon de faire qui serait propre à lot49 ?

Arnaud Hofmarcher : Le dénominateur commun est nôtre goût personnel. En regardant le catalogue de Lot 49, il s’avère que celui-ci témoigne d’une certaine cohérence. Et les auteurs que nous publions sont en général très clients les uns des autres. La « bestsellerisation » menaçant l’édition un peu partout dans le monde, ceux-ci ont de plus en plus de mal à être publiés, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. On y trouve ainsi une certaine communauté, proche de celle d’un camp de prisonniers.

6/ « Le tunnel » de William Gass est un monument dans la collection, quel a été son cheminement entre le moment où vous l’avez découvert et le moment de sa publication en France ? Qu’a représenté le travail de traduction ?

Claro : C’est un livre que Gass a mis trente ans à écrire. Des extraits paraissaient parfois en revue, bref, il était très attendu. Quand il a paru aux Etats-Unis, je me suis jeté dessus, mais j’ai mis assez longtemps à en apprivoiser l’écriture. Puis je me suis lancé dans sa traduction, pour voir si c’était possible. Là encore, j’ai rencontré beaucoup de difficultés de méthode. Quand on a décidé de le faire en Lot49, il a fallu que je m’immerge dans son univers sonore. C’était un livre à traduire de l’intérieur, qui demandait un investissement physique très éprouvant. Il exige du traducteur à la fois un immense abandon et un terrible contrôle. Au final, une expérience très forte.

7/ Des auteurs comme Tommaso Pincio ou Viktor Pelevine, pour n’en citer que deux, sembleraient avoir leur place dans Lot49. La collection pourrait-elle s’ouvrir à d’autres langues que l’anglais ou l’espagnol ?

Claro : Bien sûr. Au bout d’un moment, ce qui unit les auteurs que nous publions, c’est moins leur nationalité que le champ de leurs recherches. Notre seule limite est notre connaissance de la langue de départ. Pour publier un auteur autre qu’anglophone, il nous faut faire appel à un tiers, ce qui implique d’autres modes de fonctionnement, d’autres réseaux de confiance. Mais oui, un Russe pynchonien ou un Malgache vollmannien, pourquoi pas ?

91pR8v9-6qL._SL1500_8/ William Gass ou Brian Evenson par exemple comptent plusieurs romans à leur actif dans la collection. Y’a une volonté de suivre, de défendre un auteur et une œuvre dans son ensemble, ou est¬ce plutôt du cas par cas ?

Arnaud Hofmarcher : Nous avons de véritables coups de cœur pour les auteurs que nous publions. Et nous préférons les histoires d’amour aux brèves rencontres.

9/ Lot49 est une preuve parmi d’autres que littérature exigeante ne veut pas dire nécessairement austère. S’il y a des romans torturés et durs (L’homme alphabet, Le tunnel…), vous présentez aussi la facette déjantée de la littérature américaine.
Parmi vos publications laquelle vous a fait le plus rire ? Et au contraire laquelle trouvez-vous la plus glaçante ?

Arnaud Hofmarcher : Seul Konrad Adenauer, premier chancelier fédéral de la République fédérale d’Allemagne, aurait pu lire, je pense, Mark Leyner ou Christopher Miller sans esquisser le moindre sourire. Une blessure pendant la guerre de 14 lui avait en effet rompu les zygomatiques. Même dans ses déclinaisons les plus glaçantes, et peut-être surtout, les œuvres de Lot 49 ont en commun un solide sens de l’humour. William Gass vous fait vous esclaffer en évoquant la noirceur de l’âme humaine, Richard Powers a la capacité de rendre l’acide désoxyribonucléique désopilant, Brian Evenson sait rendre la mutilation irrésistible.

10/ Avec un peu de recul quel est votre meilleur souvenir sur les dix premières années d’existence de la collection ?

Claro : Il y a eu la venue de William Gass à Paris, un grand moment. Au début, pour diverses raisons, il ne voulait pas venir. Je suis allé le voir aux Etats-Unis pour essayer de le convaincre. Je l’ai supplié, menacé, etc. puis je lui ai fait miroiter quelques trésors gastronomiques, et il a fini par accepter de venir. Tout le monde a été conquis par sa gentillesse, son immense culture.

81bJiYOjhBL._SL1500_11/ Avez- vous quelques titre à venir à nous dévoiler ? Histoire de nous faire baver un peu.

Arnaud Hofmarcher : Nous publierons en janvier 2015 le nouveau roman de William Gass, Le Musée de l’inhumanité, en août 2015 Orfeo de Richard Powers, qui revient, après Le Temps où nous chantions sur la thématique de la musique, en 2016 un premier roman de près de 1000 pages, autopublié aux Etats-Unis, A naked singularity de Sergio LaPava, dont la lecture est susceptible de légèrement déconcerter les lecteurs de Florian Zeller. En espérant que cela vous fasse un peu baver.

12/ Pour finir, et pour ma curiosité, est-ce qu’à terme le cycle « Seven Dreams » de William T. Vollmann sera intégralement édité dans la collection ?

Claro : Il faudrait d’abord que l’ogre Vollmann en achève l’écriture, puisqu’il lui reste encore trois volumes à écrire… mais oui c’est envisageable, bien sûr, on réfléchit déjà d’ailleurs au prochain titre à publier, peut-être Fathers & Crows…

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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