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Ariadna Castellarnau – L’obscurité est un lieu

Ariadna Castellarnau avait fait forte impression en 2018, en France, avec la sortie de « Brûlées », déjà traduit par Guillaume Contré et publié par les éditions de l’Ogre. Un pari osé pour un livre respirant le souffre et le désenchantement dans un genre post-apocalyptique que n’aurait pas renié Cormac McCarthy ou encore Octavie E. Butler. Des comparaisons qui impressionnait pour un texte, qui du propre avis de Mariana Enriquez, offrait un texte écrit avec une grande élégance et, même, s’il pouvait relever d’un sous-genre du fantastique, l’éco-terreur, son écriture précise et dépouillée le rendait inclassable. Comprenez par-là, que déjà, nous pouvions deviner une grande autrice qui avait encore des choses à raconter, et surtout des manières toujours plus fortes et précises de le dire.

Journaliste et autrice, Ariadna Castellarnau avait fait parler de plus en plus d’elle, à Buenos Aires, où elle vivait et travaillait (Pour Radar (Pagina 12) & Perfil), son premier roman, Brulées ( Quema, en version originale) remporta le prix international Las Américas du meilleur roman latino-americain en 2015. Depuis, l’autrice est retournée vivre en Espagne, et c’est lors de ce retour dans son pays natal, qu’elle entreprit l’écriture de « La Oscuridad es un lugar », que nous découvrons en France grâce à Guillaume Contré à la traduction et les éditions de l’ogre sous le titre français « L’obscurité est un lieu ».

Second livre regroupant huit nouvelles, offrant autant de manières d’appréhender l’être humain. Ce second livre ouvrant sur la nouvelle donnant le titre à ce recueil, “L’obscurité est un lieu”,  nous fait découvrir Lucia et sa famille, en cavale, ayant atterri au fin fond de l’argentine pour fuir l’ancien employeur de son père. Un lieu de légendes, où une rencontre de la jeune Lucia aura une incidence notable sur la suite de son existence. Continuant notre périple avec la seconde nouvelle, nous faisons la rencontre d’Igor, de son métier, chauffeur-livreur, de femmes droguées, à un lieu se nomment le Calypso. Sa routine va dérailler le jour où le colis sera une petite fille parfaitement réveillée. Deux nouvelles qui secouent très fortement en guise d’ouverture, mais il vous reste encore six histoires à traverser, “Marina fun”, ou l’histoire de deux frères, l’un des deux ayant la particularité d’être une sirène et l’attraction de ses parents pour gagner leur vie. « Soudain un déluge » et ce mystérieux corps qu’à retrouvé un père de famille, pensant qu’il s’agit de sa fille morte noyée lors d’une crue. « Au meilleur de tous nos enfants » où le retour au pays de la fille prodige, étant devenue autrice. « Les enfants jouent dans le jardin » propose quant à elle de suivre la soirée d’une mère venant d’enterrer sa fille, une soirée en compagnie « d’amies » de sa fille. Avant de conclure en beauté avec « L’ile dans le ciel » et l’excellente «  L’homme de l’eau » et son histoire de filiation et de devoir générationnel. Une conclusion qui, comme le souligne Mariana Enriquez dans son excellente préface, souligne parfaitement l’importance de l’action de l’imagination sur le réalisme. Avant de cité Ariadna Castellarnau :

« Nous sommes à un moment de crise du réalisme. Pendant longtemps, on a cru que c’était le seul genre capable de proposer une critique de la réalité, alors même que la science-fiction et le genre fantastique n’ont jamais cessé de le faire ».

Un postulat simple, soulignant l’engagement de l’autrice, et montrant la volonté de cette dernière de raconter des histoires abordant la littérature de genre pour déconstruire notre monde, notre réel. Ce que s’emploie à faire inlassablement le recueil « L’obscurité est un lieu » de la première à la dernière nouvelle. Ariadna Castellarnau usant de la fiction et surtout des genres, roman noir, fantastique, et même réalisme magique pour construire une critique pertinente de rapports humains. Qu’il s’agit-ce de dominants et dominés, de devoirs filiaux, ou encore de rapports sociaux dans une société toujours plus individualiste et déshumanisante, l’autrice explore, décortique, écorche et transpose son constat dans ses huit variations sur la thématique « du moment de bascule ».

Car le recueil n’a pas volonté de raconter des histoires entières dans le sens classique, ici Ariadna Castellarnau s’intéresse avant tout au moment de bascule, du passage où ses protagonistes choisissent de changer de trajectoire, pour le pire comme le meilleur, mais la focale est résolument centré sur cet instant. Une habilité qui permet à l’autrice d’exacerbé la mécanique humaine dans sa construction sociale et filiale, en développent autour de cet instant, nous comprenons rapidement les enjeux et les ressorts et pouvons plonger pleinement dans le propos de l’autrice.

Ce qui fonctionne totalement, Ariadna Castellarnau maîtrise son sujet, sa narration, en grande ordonnatrice des mondes qu’elle construit, nous traversons ses huit récits dans une tension et un malaise quasi permanent. L’humanité et les constructions sociales ne nous aurons jamais paru aussi inhumaines et dysfonctionnelles, alors même que nous pouvons les entendre, les comprendre, et savoir qu’elles existent dans notre réalité.

Ceci étant dit, il y a un point important à souligner, l’écriture d’Ariadna Castellarnau, et par le biais de l’excellente traduction de Guillaume Contré, est vénéneuse, captivante, voir envoûtante par moment. Ici, la narration et l’écriture donnent le ton et son au service des récits. L’écriture est noire, ne s’encombre pas de digression et s’attache avant tout à travailler les ambiances et les descriptions, nous forçant ainsi à pleinement vivre l’histoire, comme si l’autrice cherchait à réduire, voir éliminer, le recul confortable que nous, lecteurs, possédons. L’autrice cherche à nous faire ressentir chaque moment, comprendre, sentir et entendre chaque lieu, nous plongeant dans des mondes qui ne laissent que très peu de place à la légèreté, nous coupant ainsi du réel pour déployer son imaginaire autour de nous.

« L’obscurité est un lieu » est dans la continuité de son premier roman « Brûlées », nous retrouvons l’autrice dans un style toujours aussi captivant, mais plus subtil, offrant huit récits qui devraient vous rester en tête bien après avoir fini le recueil. Ariadna Castellarnau continue de construire son monde, et propose à nouveau un livre aussi sombre que passionnant grâce à une écriture noire et poétique qui n’a rien à envier aux mastodontes tels que McCarthy ou à la littérature de genre d’ Octavia E. Butler. Ce recueil est une réussite, une expérience, qui espérons-le, saura se faire la réputation qu’il mérite. Vivement le prochain !

Editions de l’Ogre,
Trad. Guillaume Contré,
190 pages,
Ted.

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