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Entretien avec Simon Roy

Que savons-nous, exactement, de la littérature québécoise ? Étrangement, malgré une langue commune, la littérature québécoise reste peu visible en France. Il y a bien quelques auteurs qui nous viennent en tête (Michel Tremblay est peut-être le plus connu), mais il est bien difficile d’aller plus loin. Nous n’avons pas vraiment de repères, nous avons du mal à dégager des courants historiques.

Simon Roy, l’auteur de l’excellent Ma vie rouge Kubrick (paru aux éditions du Boréal), nous en dit plus sur cette littérature méconnue, sur ses auteurs et ses spécificités. Et essaye de répondre à cette question centrale : pourquoi le lectorat français n’est-il pas plus ouvert à cette littérature ?

Peut-on distinguer plusieurs périodes dans l’histoire de la littérature québécoise ?

On trouve d’abord les récits coloniaux des explorateurs et des fondateurs (notamment Jacques Cartier, puis les relations des Jésuites, etc). Les premiers textes plus littéraires se font attendre. En 1837, L’influence d’un livre de Philippe Aubert de Gaspé est considéré comme le texte fondateur de notre littérature nationale. Ont suivi la littérature du terroir, des textes nationalistes vantant les mérites de la vie rurale, le repli identitaire servant à la protection des valeurs canadiennes-françaises, de la langue et de la religion catholique. Quelques poètes exotiques ont proposé une voix distincte à ce chant commun national au début du XXe siècle.

Des contes traditionnels souvent ouverts au fantastique sont apparus fin du XIXe, début XXe siècles (par exemple : La chasse-galerie ou La bête à grand’queue d’Honoré Beaugrand, Coq Pomerleau et Le revenant de Gentilly de Louis Fréchette, Le résurrectionniste de Wenceslas Dick).

Le roman réaliste (Bonheur d’occasion – disponible aux éditions Boréal – de Gabrielle Roy) a eu un succès retentissant en 1945. Puis un mouvement de contestation s’est fait entendre avec la parution d’un manifeste intitulé Refus global qui revendiquait un monde plus ouvert, moins rétrograde ou conservateur (un texte dont l’instigateur est l’artiste plasticien Paul-Emile Borduas).

S’en est suivie le début d’un âge d’or littéraire associé avec ce que l’on appelle la Révolution tranquille (période de bouleversement profond au Québec, marquée par la volonté de moderniser la société québécoise) dans les années 1960. Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais, Hubert Aquin, Michel Tremblay ont fait paraître dans cette décennie leurs premiers ouvrages.

On note ensuite l’apparition dans les années 1980 et suivantes d’une littérature dite migrante, d’auteurs venus de l’extérieur, désormais établis chez nous. Les années 2000 sont, elles, marquées par un éclatement des formes et des thématiques.

C’est un résumé plutôt succinct. Mais c’est une piste de départ.

Existe-t-il des thèmes propres à la littérature québécoise, peut-être liés au territoire, à l’Histoire du Québec, aux évènements politiques ?

L’excellent roman de Louis Hamelin, La Constellation du Lynx (éditions du Boréal), revient dans une manière propre à la politique fiction aux événement de la Crise d’octobre 1970 et ses revendications du FLQ (Front de Libération du Québec).

Sinon, les thèmes sont de nos jours aussi éclatés et variés qu’on trouve d’auteurs.

L’affirmation nationale passait beaucoup au 19e et 20e siècle (première moitié) par une littérature du terroir, vantant les mérites de la vie agricole et des belles valeurs canadiennes-françaises. De plus en plus, la littérature québécoise explore des territoires étrangers (pas forcément de par ses écrits d’auteurs migrants, mais aussi de par ceux dits de souche, qui racontent le monde).

Difficile de dégager une tendance marquée sur le plan de la thématique. Un bon échantillon de ce qui s’est fait dans la dernière décennie se trouverait dans un bilan paru en décembre dernier dans le journal La Presse, qui brossait un état de la situation assez juste de ce qui s’est produit récemment en littérature chez nous (cet article très éclairant est à découvrir en suivant ce lien).

Est-ce une littérature qui a du s’émanciper de la littérature française ? Ou de la littérature américaine ? Ou bien est-ce une littérature qui a, de tout temps, été très liée à l’identité et à la culture québécoise ?

Oh! Non, il en aura fallu du temps pour qu’elle se décomplexe de son passé colonial français. Depuis quelques décennies toutefois, on sent une filiation plus assumée avec le roman américain, ou avec une certaine idée des littératures des Amériques. Il y eut un temps où on ne jurait (comme lecteurs aussi) que par la littérature française, mais on retrouve moins cet attachement. Les chiffres de ventes des librairies l’attestent : il se vend davantage de livres québécois que de livres français.

A quoi est-ce du ?

L’attrait pour la littérature québécoise est plus grand. C’est aussi du à une meilleure ouverture sur le monde (pas seulement ce qui se fait aux USA mais ailleurs en Amérique latine), le story-telling américain. Les libraires sont de bons vecteurs sur ce plan. À l’affût des tendances ou des nouveautés internationales, l’offre devient plus éclatée. Mais bien sûr, on ne va pas bouder les œuvres fortes faites en France pour autant. La différence tient à ce que les auteurs français font partie d’une panorama plus global et sont moins des détours obligés.

Qu’est-ce qui pourrait le mieux définir la littérature québécoise ?

Difficile de cerner ce qu’est la littérature québécoise actuelle. L’article du journal La Presse fait un bon état de la situation. Elle est peut-être comme d’autres secteurs d’activités au confluent des tendances européennes et américaines. Un constat ou une intuition forte toutefois, elle assume de plus en plus clairement sa nordicité (dans le sens du rapport entre l’homme et la nature, l’homme et le climat), peut-être en phase avec cette popularité nouvelle des auteurs scandinaves ? Ce n’est qu’une hypothèse molle…

Vu de l’extérieur, il existe un souffle de liberté sur la forme dans cette littérature, avec des chapitres courts, des va et viens entre réel et imaginaire, la multiplications des voix dans un même récit. Est-ce une règle générale ou un simple courant récent ? (j’ajouterai que votre roman Ma vie rouge Kubrick est également construit ainsi, avec ces décrochages avec le réel, l’intime, pour parfois être un exercice de critique cinématographique. En un sens, ce n’est plus un roman, mais quelque chose qui va au-delà)

La tendance du fragment ou des courts chapitres est clairement nouvelle et va au-delà de la tentative de créer un roman par accumulation de nouvelles. Il s’agit à mon avis d’une nouvelle manière de rendre compte de la perception du réel. Pas toujours linéaire, en lien avec la réalité elle-même plurielle et fragmentée. Une organisation du chaos ambiant qui essaye de refléter ses limites de cohérence interne et ses liens souterrains avec d’autres éléments de notre environnement.

Quels sont les auteurs incontournables ? Quels sont les livres incontournables pour appréhender et découvrir cette littérature ?

Des incontournables? C’est très subjectif. Une belle porte d’entrée sur notre littérature serait Anne Hébert (Les Fous de Bassan – Points Seuil), Hubert Aquin (Prochain Épisode), Réjean Ducharme (L’hiver de force – Folio), Marie-Claire Blais (Une saison dans la vie d’Emmanuel – éditions du Boréal). Michel Tremblay, son théâtre. Alain Grandbois, Émile Nelligan (poésie).

A titre personnel quels sont les livres ou les auteurs québécois qui vous ont marqués ?

Mon auteur d’ici préféré (celui que je donne à lire, même à ceux qui n’aiment pas trop lire) demeure Jacques Poulin (Les Grandes marées, La tournée d’automne, Les Yeux bleus de Mistassini – son oeuvre est disponible en France dans la collection Babel d’Actes Sud).

Existe-t-il des revues de création littéraire au Québec ?

Il existe évidemment des revues de critiques (Nuit blanche, Lettres Québécoises – LQ) et de création (XYZ, la revue de la nouvelle, Moebius) pour n’en nommer que deux dans chaque créneau.

En France, le genre de la nouvelle est marginale, sous-évaluée même, alors qu’elle est considérée aux Etats-Unis comme un genre important et essentiel (et au Canada, avec par exemple le prix Nobel Alice Munro). Qu’en est-il au Québec ?

Bon an mal an, il se publie passablement de nouvelles tant en recueils que dans des revues spécialisées, mais il semble que ce genre soit regardé quand même un peu de haut. Publier des nouvelles n’a pas le prestige d’un «vrai» roman. Qu’à cela ne tienne, il existe d’excellents recueils de nouvelles (Nadine Bismuth, Monique Proulx en sont de bons exemples).

Comment se porte le marché du livre au Québec ? Les auteurs vivent-ils de leur plume ?

Peu d’auteurs peuvent quitter leur emploi principal pour se consacrer entièrement à la vie littéraire ou à l’écriture. IL existe toutefois des programmes parrainés par l’Union des écrivains du Québec (UNEQ) qui soutiennent certaines activités menées par les auteurs, de même que des programmes de subventions des gouvernements canadien (CAC pour Conseil des Arts du Canada) ou québécois (Conseil des Arts et Lettres du Québec) qui offrent des bourses ou des résidences d’écriture permettant de se consacrer de manière plus assidue à des projets littéraires. Mais je connais personnellement quelques auteurs qui vivent de leur plume : certains bien, d’autres plutôt mal. Souvent, ils complètent leur budget en acceptant des contrats comme pigistes ou collaborateurs à des émissions de télé ou de radio. Lire ici entre les lignes que les auteurs sont les maltraités de la chaîne du livre, ceux-ci ne recevant que 10% de la part de la tarte de répartition des revenus générés par les ventes de livres. Comme le marché est petit (8 millions de population au Québec) et que la littérature québécoise n’est pas tellement lue à l’étranger (quoique l’on observe une nouvelle mouvance, un tendance allant en ce sens…), il est difficile de vivre de sa seule production littéraire.

Il existe en France la loi sur le prix unique du livre qui veut qu’un même livre a le même prix partout (y compris sur Amazon). Est-ce aussi le cas au Québec ? Existe-t-il un véritable réseau de librairies indépendantes chez vous ?

Il existe bel et bien une association des librairies indépendantes (ALQ), très dynamique et active. Elle propose annuellement le Prix des Libraires du Québec dans des catégories Québec et hors Québec (roman, essai, BD et jeunesse) et seulement québécoises (en poésie). Il existe même un site d’achats d’ouvrages en ligne (libraires. ca) et un magazine qui paraît à chaque saison, bien nommé Les Libraires où les critiques ou capsules critiques sont rédigées par des libraires des quatre coins du Québec.

Il n’existe pas encore de loi sur le prix unique, ce qui désavantage nettement les libraires indépendants qui doivent rivaliser avec les magasins à grande surface (Costco, Walmart) ou les grandes chaînes (les librairies Renaud-Bray, qui seraient un peu l’équivalent de votre Fnac). Des débats controversés (soutien au milieu du livre versus libre marché) ont eu cours il y a quelques années, mais rien n’a à ma connaissance été réglé ou légiféré en ce sens.

Pourquoi, à vote avis, la littérature québécoise s’exporte-t-elle si peu ? En France, elle est totalement marginale, alors que la littérature américaine, par exemple, est sur-représentée ?

Je crois que la littérature québécoise souffre d’un certain snobisme de la part des hexagonaux, qui vont lui préférer la scandinave, l’américaine, la sud-américaine. Il reste un travail de mise en marché à faire mieux de la part des institutions ou des éditeurs. Elle souffre d’un certain manque de curiosité des lecteurs, libraires, profs ou critiques français. Je crois que le même snobisme a cours chez les Québécois relativement à la littérature acadienne ou canadienne-française produite hors Québec. On l’associe à un certain folklore passéiste. Pourtant, cela est complètement erroné comme perception. Le Québec, Montréal en particulier, a les deux pieds dans la modernité, tout ce qu’il y a de plus attirant propre à l’américanité si chère aux Français. Et en plus, on partage (à l’écrit il n’y a pas d’accent comme à l’oral) une langue commune. C’est plutôt étrange et certainement dommage.
Ma vie rouge Kubrick, pour parler de ce qui me concerne, est traduite et lue au Canada anglais, chez les Américains (j’ai été invité à Los Angeles pour en parler dans sa traduction anglaise dans un festival d’envergure) en Espagne où il est aussi traduit (la presse espagnole est dithyrambique, livre de la semaine dans le prestigieux El Pais, invitation au Festival Kosmopolis en mars dernier à Barcelone, mini tournées dans les universités espagnoles), mais rien, zip, nada en France. Je pense que ce livre pourrait trouver son lectorat chez vous, compte tenu de son succès à l’international mais jusqu’ici aucun éditeur n’a acheté les droits.

Simon Roy est l’auteur du livre Ma vie rouge Kubrick, un récit au carrefour entre l’essai cinématographique et l’autobiographie. Encore jeune homme, Simon Roy découvre le film de Stanley Kubrick, Shining, et est immédiatement fasciné par les images qu’il tente de comprendre. Ce qu’il ignore encore, c’est que l’objet de sa fascination entre en résonance avec son histoire familiale. Une génération plus tôt, un meurtre sordide a été commis, créant une lignée maudite dans la famille. Simon Roy s’interroge alors sur l’hérédité du mal, sur les répercussions dans le temps d’un crime sanglant. Il en profite pour analyser le film de Kubrick au prisme de sa boucle temporelle, où Jack Torrance (Jack Nicholson) semble condamné à perpétrer le même crime, génération après génération, dans les couloirs de l’hôtel Overlook. Brillant.

À propos Alexandre

Chroniqueur

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