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Couverture du roman d'Eric Bonnargent, Les Désarrois du professeur Mittelmann

Éric Bonnargent – Les Désarrois du professeur Mittelmann

Les Désarrois du professeur Mittelmann d’Éric Bonnargent, publié par la maison indépendante les Éditions du Sonneur, sont les chroniques d’une vie, extraordinairement banale ou banalement extraordinaire, écrites avec finesse, humour et intelligence.

Il s’agit de la vie d’un professeur de philosophie, tout juste retraité, devenu professeur par la force des choses alors qu’il rêvait déjà d’être écrivain et qu’il s’engageait tête baissée dans une relation amoureuse sérieuse.

Fin, bienveillant, drôle, touchant et original, Les Désarrois du professeur Mittelmann est un texte de littérature ancré dans la réalité : il est l’exemple d’une littérature loin des fantasmes et détachée des critères d’un marché du livre qui tend à valoriser de façon excessive les textes censés nous “apprendre” des choses ou qui ont vocation à porter un message ou encore à dévoiler des vérités.

Il est une véritable réussite car il parvient à :

1) Raconter l’histoire d’un homme normal

Ce texte traite de la quotidienneté de l’existence, de choses « banales » et il est en même temps foncièrement original. Car ce qui serait la norme, ce serait de rejeter la banalité d’une histoire, or là c’est tout l’inverse qui se passe. Car si la banalité est LE sujet communément perçu comme un non-sujet, ici la narration vient contrer cet effet : elle fait de la banalité un sujet plus que digne.

Dans Les Désarrois du professeur Mittelmann, une place centrale est donnée aux sensations et aux émotions du quotidien : l’impression de vivre les choses mille fois et que les gens sont une caricature d’eux-mêmes, le désarroi face à des choix pourtant triviaux, la fatigue suite à la répétition des gestes, la langueur qui accompagne les jours qui se ressemblent etc.

Mittelmann est à vrai dire tout à fait normal. Aussi, à la fin du texte, on a l’impression de le connaître un peu, comme un vieil ami, comme quelqu’un dont on sait qu’il nous ressemble. Et puis dans le même temps on a cette intuition que c’est une illusion, que l’on ne le connaît pas, parce qu’on connaît jamais vraiment quelqu’un et que les gens ne se connaissent pas vraiment. C’est donc un personnage très convaincant et très humain.

“C’est à la rentrée suivante, en devenant professeur, que sa vie avait réellement commencé, organisée autour d’événements dont il pouvait retracer la chronologie avec plus ou moins de précision. Le professorat, donc, n’avait jamais été une vocation. Les raisons qui l’avaient convaincu d’intégrer la grande famille de l’Éducation nationale (prestige du métier, salaire confortable, temps libre) s’étaient au gré des années avérées décevantes. L’image sociale de la profession s’était tellement détériorée au fil de sa carrière qu’il avait souvent, en public, éprouvé une certaine gêne à s’avouer professeur.”

2) Donner la sensation du temps qui passe

La narration reflète très bien le rythme si particulier de l’existence humaine au cours de laquelle une seconde peut durer des heures et une année quelques minutes seulement.

Si tout le monde se reconnaît ou reconnaît quelqu’un dans le professeur, c’est parce qu’Éric Bonnargent parvient à retranscrire l’évolution du rapport au monde de son personnage, il décrit avec finesse les changements dans la sensibilité de ce dernier _ ce changement de lumière qui intervient petit petit dans toute vie !

Le lecteur vit les différents « premiers jours du reste de sa vie » du professeur Mittelmann et tout ce qui suit, parce que c’est bien l’impression qu’on en a, celle de se faire happer comme lui se trouve happé par sa propre vite.

C’est la magie de la narration et la force du roman d’Éric Bonnargent.

Le charme opère et on prend un plaisir particulier à suivre les pas de ce professeur de philosophie faussement désabusé mais véritablement romantique. Car à chaque nouvelle relation il renaît comme une fleur et c’est très beau.

Aussi, c’est un livre qui raconte comment un événement ou une personne peut faire brutalement gonfler en quelqu’un l’espoir d’aimer à nouveau, de reprendre ses projets, d’être heureux en somme. Et ce à plusieurs reprises dans une vie.

3) Parler du désenchantement du monde et en parallèle du désenchantement intime sans cynisme

En contrepoint des deux points précédents, le texte dépasse le vécu personnel de Mittelmann ou en tout cas il l’inscrit dans le monde. Il raconte le désenchantement de notre époque, sans tristesse et avec une certaine lucidité.

Principalement il y a l’abandon de l’Éducation nationale par les gouvernements successifs et le désintérêt d’une partie de la société pour les questions qui y sont liées, que le professeur vit comme il le peut, plutôt passivement, tout en persévérant dans son métier.

Plus largement, le texte évoque le passage entre le moment où on prétend pouvoir changer le monde puis le moment où il change sans nous. Et cette question s’impose : si ce n’est pas nous qui changeons ce dernier, qui est-ce ou qu’est-ce ?

Cependant au final, on comprend que même si le désenchantement est inévitable, l’amour est un remède, c’est ce qui nous permet de dire que le texte recèle quelque chose de profondément positif.

Avant de conclure, pour parler de la forme rapidement, le style est assez classique, la construction également, mis à part l’introduction de passages au discours direct où Mittelmann donne son cours et répond du tac au tac à ses élèves ce qui dynamise bien le texte. (Par ailleurs quel plaisir de redécouvrir quelques bases oubliées !)

Pour conclure

Ce texte est une sorte de leçon d’humilité, il offre une dose de sagesse avant l’heure. Son ton ironique pourrait en refroidir certains, mais il est dénué de condescendance et apporte en réalité un peu de légèreté quand les thématiques abordées pourraient peser sur l’histoire.

Ce n’est pas un livre pour ceux qui veulent de l’action, du choc, des émotions fortes et/ou faciles, mais pour les quelques uns d’entre nous qui n’ont pas peur de se regarder en face.

Il est ancré dans le réel, ancré dans notre temps, et étrangement, il a quelque chose de réconfortant. C’est donc une lecture pour laquelle je suis reconnaissante, comme je serais reconnaissante après une bonne et franche conversation amicale.

Couverture du roman d'Eric Bonnargent, Les Désarrois du professeur Mittelmann Les Désarrois du professeur Mittelmann

Eric Bonnargent

Texte publié sous la direction de Marc Villemain

Les éditions du Sonneur

278 pages

Marisol

 

À propos Marisol

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