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Un été de fin du monde

Des airs de fin du monde dans l’air. L’été est là et avec lui, pour beaucoup, le désir d’éclipse, avec un sens tout particulier par temps caniculaire.
Retour thématique, tout sauf exhaustif, sur des lectures récentes, issues de l’actualité littéraire ou plus anciennes, au gré des associations d’idées.

Dramatique ou drôlatique, fantastique ou dans l’air du temps présent, chamanique, initiatique, foutraque ou  nostalgique, la fin du monde fascine, constitue une matrice littéraire semble-t-il inépuisable.
Depuis la guerre froide et l’angoisse d’anéantissement planétaire, alors que le monde pansait les plaies de la seconde guerre mondiale et de ses horreurs, la fin du monde est véritablement sortie des eschatologies religieuses pour imprégner les arts profanes.
L’apocalypse en tant que ‘’révélation’’ se recentre alors sur l’homme et le monde qu’il a façonné et vient de lui-même et non plus d’une force divine.
Les récits présentés succinctement ici se situent tantôt au moment du basculement, tantôt dans l’après. Dans tous les cas, la certitude de la perte, contrainte ou concédée à soi-même.

Remington, Christophe Ségas, Éditions le Nouvel Attila en coédition avec Hélice Hélas éditeur, 2017. 216 pages.

La fin du monde a eu lieu, la Césure, le Clash, le Reset…autant de noms pour une apocalypse d’origine inconnue. L’histoire-jadis n’est plus mais se spécule à tout va.
Quand des explorateurs tombent sur une liasse de papier contenant les récits de cinq  protagonistes du deuxième siècle de l’après, on a accès au terrible de la fabrique de l’Histoire mais dans une version totalement loufoque et jubilatoire.
« La fin de l’histoire », de Hegel, revue et corrigée par une Remington passant de mains en mains. La citation de Rimbaud en ouverture du roman est à ce titre parfaite : « ce n’était que la fin du monde en avançant ».
La civilisation sur le rouleau d’une machine à écrire, la seule machine que rien ne semble pouvoir détruire, alors que tout le reste est à refaire.

« – Une troupe de nomades traînait à la frontière de l’Empire. Nos soldats les ont éliminés. On a trouvé ça dans leurs bagages. Il paraît que c’est une machine pour écrire. Tu sais lire, toi, n’est-ce pas ? Et tu as été témoin privilégié du règne d’Héloïse. Tricote son épopée ».

L’homme et ses passions, qui rejouent sans fin les jeux de dupe du pouvoir. Pouvoir par les armes, la parole, voire même par le savon et des draps blancs…
Les narrateurs content des aventures où se croisent colporteurs, ré-inventeurs, ensauvagés, fanatiques religieux, impératrice folle, tribus autodestructrices.
En 5 récits mêlant le beau n’importe quoi et le terrible, Ségas peint la fresque d’un monde qui n’en finit pas de finir, où les « pourquoi » ne comptent pas ou juste pour donner des réponses en forme de farce. Les « scientifiques » cherchant à expliquer puis reconstruire la gloire du monde passé sont hilarants. Le pédalo et la montgolfière éveillent sans conteste l’imaginaire des hommes d’après ! Une belle réussite littéraire et édition formellement  (toujours) soignée et osée ! Parfait pour un été de découverte !

  • Et aussi : Demain les chiens, grand classique de Clifford D. Simak écrit pendant la guerre froide. Huit nouvelles réunies pour dire l’Homme, par les chiens qui se racontent l’Histoire, de la Cité, de la guerre et de la fin de l’humanité. Fascinant et intemporel.

Un peu tard dans la saison, Jérôme Leroy, Éditions de la table ronde collection Vermillon, 2017. 254 pages.

Guillaume Trimbert, quinquagénaire anxieux, auteur-poète entretenu, sent monter en lui un détachement de plus en plus grand pour le monde hyperconnecté où l’on s’offre au regard, à la surveillance de tous, tout en étant de plus en plus seul. De ce sentiment de décalage avec le temps présent, l’homme d’un passé rêvé s’érige une nostalgie aussi forcenée que désespérée, ultime rempart entre lui et une société à laquelle il ne se sent pas appartenir.
Agnès Delvaux, agent des services secrets, est chargée d’enquêter sur un phénomène en apparence anodin, mais en passe de défaire le monde, l’éclipse.
Des gens qui décident de tout arrêter, de ne plus jouer le spectacle de la société et qui partent, laissant travail, famille, patrie, pour recommencer leur vie, simplement et loin des réseaux, du rendement humain et des jeux de dupes politiques.
Le phénomène s’accentue tel une épidémie silencieuse et les services secrets des états tentent d’empêcher, à leur façon, l’effondrement du système.
Trimbert a tout du candidat à l’éclipse, est-ce pour cela qu’Agnès épie chacun de ses mouvements ? Le récit alterne deux points de vue que tout semble opposer, pour mieux semer le trouble et révéler les petites vérités et les grandes ambigüités de l’histoire.

“J’y ai pourtant cru, je pense, et d’une certaine manière j’y crois toujours. Le communisme pour moi, c’est comme la plage pour Mélina Mercouri dans “Jamais le dimanche“: c’est là qu’on finit toujours après les tragédies, parce que la plage, ça règle tout à condition de ne jamais en revenir. C’est bleu, doré, avec des filles qui dansent sous les tamaris. La propriété se limite à un transat ou une sortie de bain et une pléiade de Morand posée dessus pour la faire tenir. Bref, le communisme, pour moi c’était une fin de l’histoire sexy, poétique et balnéaire.”

Jérôme Leroy a écrit ici le conte d’un espoir lucide pour désabusés, avec sa langue si faussement simple et sa maîtrise des formules qui font mouche.
Le roman éveille la douce douleur des nostalgies, en offrant à celles et ceux qui en auraient le besoin ou l’envie, une échappatoire dans la douceur.
À lire sur une plage du nord de la France, au fin fond d’une zone blanche, partout où l’été éveillera vos envie « d’autre chose », entre retour à un passé rêvé et avenir radieux…

  • Et aussi:

Je reste roi d’Espagne de Carlos Salem, pas une fin du monde, mais une magnifique éclipse, poétique et picaresque, un régal ! Actes Sud, 2011. Danielle Schramm pour la traduction française.

Terminus radieux, Antoine Volodine, Éditions du Seuil, 2014. 617 pages.

Le rêve soviétique est mort une seconde fois, entre effondrement nucléaire et réaction capitaliste. La Sibérie n’est plus habitable, des hommes et des femmes y errent pourtant, ni vivants ni morts, sous la coupe du thaumaturge Solovieï, dieu humain jaloux, régnant sur les morts-vivants.
Volodine a créé le post-exotisme, rejetant la classification de genre SF et a construit ici un conte halluciné sur la vie des morts plus que la mort des vivants, dans un monde bulle. Le sentiment d’étrangeté dans lequel baigne le lecteur est quasi hypnotique. Une mythologie sur fond de chamanisme anarcho-stalinien (il faut lire pour le croire) ou un père omnipotent, jaloux de ses filles, règne sur un monde hors du temps, imprégné d’une idéologie soviétique de farce mais sans mépris.
Des soldats tentant de rejoindre le ”camp’’, le goulag comme terre promise et havre des âmes errantes, pendant que la mémé Oudgoul nourrit une pile en fusion avec les restes du monde.

“Au-dessus de lui, l’étoile rouge en fer-blanc n’avait pas complètement perdu ses couleurs d’origine. Peut-être parce qu’il avait envie de s’attendrir sur quelque chose qui ne fût pas lui-même ou son deuil, il pensa intensément à ce qu’elle avait représenté, cette étoile, et il l’approuva d’être toujours en place. Elle allait persister longtemps là-haut, sur ce frontispice solennel, pendant plusieurs décennies, protégée du vandalisme par le silence nucléaire, indifférente aux vilenies et aux défaites qui allaient accabler les métropoles, les continents tachés de capitalisme et de sang”.

Quelle issue à ce Terminus radieux ? Tuer le monstrueux Solovieï ? Comme on tue un père, un tyran, un dieu ? Attendre qu’il se lasse de son immortalité ? Au risque du silence…et de la fin des temps. Cela est-il seulement possible ? De tuer les morts quand on n’est pas vivant ?
Un bijou de l’étrange, à la poésie envoûtante. Il vous faudra accepter de vous livrer, pour un temps, aux caprices de l’auteur et de sa créature pour pleinement en savourer le transport. Une lecture pour s’évader, à condition d’avoir le temps…Qu’importe l’éternité !

Dans la forêt, Jean Hegland, Éditions Gallmeister 2017. 301 pages.

Une famille vit dans une clairière isolée du nord de la Californie. Deux sœurs et leurs parents, un avenir prometteur, entre grande université pour l’une et carrière de danseuse pour l’autre. Deux jeunes filles de pas vingt ans, qui vont affronter le deuil, de leurs parents mais aussi du monde qu’elle pensait « normal », où tout ce que l’on sait tient dans des livres ou sur internet.
La fin d’un monde dont on ignore les causes comme les évènements. Épidémies ? Effondrement économique ? Guerre ? Qu’importe. Le récit, tenu à la première personne par l’une des sœurs, est celui des catastrophes intimes et des initiations. Les deux jeunes filles vont se frayer, de leur clairière natale à la forêt, un chemin du deuil, de la sidération de la perte à la survie puis à la vie de femmes qui leur appartient.
Les quelques hommes qui traversent le récit, contribuent à faire de cette histoire un roman de révélation, une apocalypse en bonne et due forme.
Une fin du monde en forme de retour à la nature et du passage des deux sœurs de l’enfance à l’appartenance à soi.

« – l’homme est apparu il y a au moins cent mille ans. Et depuis quand l’électricité existe ?
– Eh bien, Edison a inventé la lampe incandescente en 1879.
– Tu vois ? Tout ça… (et d’un ample mouvement du bras, elle a désigné les pièces de la seule maison que j’avais toujours connue) n’était que… comment l’as-tu appelé ?  U
ne fugue dissociative.
Elle a montré ensuite l’obscurité qu’encadrait la porte ouverte.
Nos vraies vies sont là-bas. »

Un premier roman de 1997, traduit de l’américain par Josette Chicheportiche pour l’édition française.

  • Et aussi : Sukwann Island de David Vann, pas une fin du monde, mais une fin, assurément, pour un père et son fils, sur une île d’Alaska, entre drame familial et vie dans la nature sauvage. Attention, une lecture qui remue passablement, en tout cas c’est mon point de vue. Également chez Gallmeister. Traduction Laura Derajinski, 2010.

Le club des punks contre l’apocalypse zombie, Karim Berrouka, Éditions Actu SF, 2016

Alors qu’en mai 2016 l’épidémie du zombisness a déjà touché l’humanité entière depuis quelques années déjà, la collection des 3 souhaits d’ActuSf ose un titre audacieux, puisque révélant d’emblée les personnages ainsi que la situation.
On s’attendrait donc à une parodie de Romero. On aurait raison. L’auteur a le sens de la métaphore diurétique et l’autodérision permanente envers ses personnages témoignent qu’il s’agit plus d’un hommage. Pas de caricatures non plus des punks, c’est-à-dire des gens qui vivent en squat et où le collectif est aussi important que la liberté de chacun, même bourrés et défoncés aux LSD, amphèts, ou à quoi que ce soit provenant d’une armoire à pharmacie.
Et puis, quand on se poste sur le toit du squat pour boire des bières, jouer à fond  les plus grands classiques du répertoire musical émeutier et tirer à la carabine à plomb sur un équipage de la Bac réfugié dans un kebab, avec entre eux des parisiens zombifiés, on est bien dans ce que l’on attend à la lecture du titre.
Les punks font les punks: renverser l’ordre établi (facile, c’est l’Apocalypse) avec l’obsession du beau geste, destroy (normal, c’est des punks).
Néanmoins, folklore et images d’Épinal, même si ils sont l’objet d’un humour iconoclaste et imparable, cela ne révolutionne pas ce genre désormais éculé. Karim Berrouka le sait et cela ne dure pas plus de 30 pages. Son talent d’écrivain et de conteur lui permet ensuite de proposer une trame narrative absolument surprenante, peu ordinaire dans les histoires de zombies.  Ensuite, il parvient de manière crédible et sans intervention militaire, à la fois à mettre fin à cette apocalypse et à régler le sort des derniers suppôts du capital survivants. Karim Berrouka nous honore en nous offrant les premières loges !
On rit et dès les premières pages, on trouve évident l’intérêt de choisir des personnages principaux, eux-mêmes perçus à l’ère pré-apocalyptique comme des zombies. Le squat, préparé aux tentatives d’intrusions policières d’alors, se révèle décidemment comme le lieu préservé des violences du monde.
De Chambéry, les éditions ActuSf offrent une épopée aussi éloignée du easy-reading que Karim Berrouka des fabriques hollywoodiennes. Devant les rebondissements scénaristiques, on exulte de surprise (émotion extrêmement rare désormais dans ce genre), et surtout l’écriture de Karim Berrouka, foisonnante de bons mots, rend hilarant n’importe quel moment tragique en cette fin du monde.

  • Et aussi :

La fin du monde a du retard de l’excellent J.M Erre, le conspirationnisme sans peine et plus que jamais délirant ! Éditions Buchet/Chastel, 2014.
Spinoza encule Hegel, le roman culte de Jean-Bernard Pouy, godfather du polar français. La dialectique chez Mad Max, le grand n’importe quoi cuisiné aux petits oignons, 1983.

Dans ces romans, un rapport à l’histoire différent. Nostalgique pour Leroy, sarcastique chez Ségas et carrément abolit chez Volodine. Histoire linéaire, des pertes définitives, spirale des éternels recommencements en avant ou éternité nucléaire.
Quoi de mieux qu’une apocalypse pour donner à voir et penser les liens serrés entre eros et thanatos, nos petits biens et nos grands maux. Les tabous s’abolissent, l’individu et sa place dans la société des hommes, tout part en éclat et se redéfinit, contre la folie de temps passés ou au contraire, dans la répétition des travers humains.
Quoi de mieux que l’été pour tout recommencer? Belles lectures!

Photo du bandeau Héloïse Massa.

À propos Héloïse

Chroniqueuse

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