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Interview : L’arbre vengeur

1876319673cbfb15a48d28c5b9bf8ddeDepuis plus de dix ans, les éditions de l’Arbre Vengeur enchantent les tables des librairies avec leurs livres au format et aux couvertures reconnaissables entre mille. Auteurs contemporains ou oubliés, français ou étrangers, on trouve de tout dans les branches de cet arbre particulier.
David Vincent et Nicolas Etienne, fondateurs de l’Arbre Vengeur, se sont prêtés au jeu de notre questionnaire.

1/ Qu’est-ce qui vous a décidé à sauter le pas et à créer votre maison d’édition?

Plus qu’une envie, il s’agissait d’une injonction : nos épouses voyant bien que nous dépérissions dans des vies stériles vouées aux souvenirs de plaisirs désormais bien fades, nous mirent en demeure de réagir et nous envoyèrent en expédition dans une selve profonde afin que nous y retrouvions le sens des vraies valeurs, la solidarité, la compassion et l’amour de la nature. A l’issue de plusieurs jours difficiles et après avoir longuement écouté les plaintes des arbres croisés lors de notre périple, notre décision était prise : il nous fallait revenir dare-dare à la civilisation où, un jour de pluie et d’ennui, bien plus tard, nous avons eu l’idée de jouer aux éditeurs pour faire entendre notre voix au milieu de la cacophonie éditoriale. Plus de dix ans après, mission accomplie, on ne nous entend pas tellement mais au moins nous pouvons n’en faire qu’à notre tête.

2/ Quelle est votre politique/ligne éditoriale? Pourquoi avoir choisi de travailler dans ce domaine?6abc79399563e5599d2d531114eefdba

Ce n’est pas tant un « domaine » qui donne l’idée d’un lieu clos qu’une forêt qui rappelle la sensation d’espace infini. Notre hameçon essaie de ramener dans nos filets à provisions (ou sans parfois) de cette pêche un peu négligée qui consiste en des auteurs marginaux, délaissés, qui ont une vision de l’homme et du monde où le style peut se conjuguer à l’humour (souvent noir), des écrivains dont nous aimons l’insolence et la liberté, des voix qui croient que le réel gagne à se laisser envahir par le fantastique. Nous nous vengeons aussi, à notre manière, dérisoire mais fervente, de tous ces livres pitoyables qui envahissent les librairies et qui s’adressent à des lecteurs que la littérature fatigue alors qu’elle devrait les tirer de leur léthargie. Et cette maison d’édition n’est pas notre « travail », c’est notre divertissement, un « loisir » exigeant, chronophage qui nous permet d’oublier le travail.

3/ Pouvez-vous nous présenter vos différentes collections?
En plus des livres qui paraissent sans mention de collection et qui constituent plus de la moitié de notre catalogue, quatre collections viennent apporter leurs touches et leur singularité : l’Alambic d’Eric Dussert qui explore les territoires mal défrichés de la littérature : Selva selvaggia qui se préoccupe de la littérature italienne et qui est sous la férule de la traductrice Lise Chapuis ; La forêt invisible taillée par le traducteur Robert Amutio qui se concentre sur les littératures hispaniques ; plus récemment une collection qui s’intéresse à la « belgitude », L’arbre à clous, a été confiée à Frédéric Saenen qui est Belge, ce qui tombe bien.

4/ Comment choisissez-vous les textes, les auteurs avec lesquels vous allez travailler?
plop1D’une part nous rééditons des livres que nous avons croisés et qui nous semblent mériter de ne pas sombrer dans l’oubli, qu’il s’agisse de lectures ou de conseils de ceux qui connaissent nos penchants et nos vices ; d’autre part nos directeurs de collection nous font des propositions que nous agréons ou pas, selon le trouble qu’aura provoqué le projet.
N’oublions pas les manuscrits que nous recevons et parmi lesquels il nous arrive, très rarement, de trouver une voix qui vaut la peine qu’on lui donne une (maigre) chance (car débuter avec nous ne garantit pas grand chose…).
Et puis enfin il y a les rencontres avec ces auteurs que nous aimons et qui peuvent se reconnaître dans ce que nous éditons.

5/ Comment se passe le travail avec l’auteur (et le traducteur le cas échéant) depuis la sélection de l’ouvrage jusqu’à sa sortie?
Il n’y a pas de modus operandi particulier. La plupart du temps nous travaillons avec des écrivains qui ont une pratique sûre de leur métier et n’ont pas besoin qu’on les fasse travailler : nous ne fabriquons pas des livres, nous les éditons. Les faiblesses d’un auteur sont aussi constitutives de son travail et il ne s’agit pas de gommer comme le font certains éditeurs qui taillent, coupent, lissent, poncent afin de faire joliment briller l’objet. Nous ne voulons pas nous refléter dans le livre que nous publions mais y trouver un écho. Ce n’est pas du tout notre philosophie que « le travail sur le texte ». A nous de faire en sorte que le livre soit autant que possible débarrassé de ses scories (fautes, cokilles, incorrections) mais qu’il reste fidèle à ce que l’auteur a voulu et risqué.
Nos traductions sont la plupart du temps confiées à un directeur de collection qui va jouer le rôle d’arbitre, de conseil. Mais là il s’agit d’un autre travail.

6/ Comment se déroule le travail de réédition sur des textes anciens?
Le plus simplement du monde. Tout d’abord une séance de spiritisme pour nous assurer que GIRARD-COUVERTUREl’esprit de l’auteur nous accompagne dans cette entreprise et ne viendra pas perturber le parcours. Si besoin est, une visite à la tombe de l’auteur avec quelques minutes de recueillement. Ensuite il s’agit de trouver le texte dans sa meilleure version et de nous assurer la préface ou postface de quelqu’un qui pourra ajouter un regard neuf sur une entreprise et une période anciennes. Parfois nous augmentons le texte d’illustrations qui ajoutent un nouveau regard, chargées qu’elles sont souvent de réinventer à leur manière, moderne, le texte.

7/ Quel(s) texte(s) auriez-vous aimé publier?
Si on commence sur ce terrain-là… Nous avons des regrets, quelques remords et pas mal d’espoirs. S’il fallait n’en citer qu’un : Leo Perutz.

8/ Quel(s) texte(s) êtes-vous fiers d’avoir porté?
Nous sommes assez fiers d’avoir aidé à redécouvrir Jean-Pierre Martinet (le plus grand écrivain libournais du XX° siècle), Régis Messac et son Quinzinzinzili, Jean-Marc Aubert et ses deux opus fous, Marc Stéphane plongé dans un profond purgatoire, Algernon Blackwood et ses arbres vengeurs, Pierre Girard et ses romances uniques en leur genre, etc… ; sans parler de tous ces contemporains que nous aimons tous, et notamment ceux qui liront cet article que nous chérissons tout particulièrement…

9/ Un coup de projecteur sur une sortie plus ou moins proche?
Nous sommes particulièrement heureux d’avoir édité le cinquième opus (sorti en mars) de Didier da Silva qui nous a envoyé son texte par la poste : L’ironie du sort est un petit livre d’une folle intelligence, musical et joueur, érudit sans être étouffant, littéraire sans être maniéré, un roman sans histoire ou aux cent histoires.
Dans les redécouvertes L’Arborescence de Jean-Charles Rémy (paru dans les 70’s) impose son univers d’un romantisme noir matiné de Marcel Aymé, un mélange des genres parfaitement réussi, fable moderne à l’irréalité convaincante.Et une histoire d’arbre, pour terminer la boucle…

À propos Marcelline

Chroniqueuse/Co-Fondatrice

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