Luc Blanvillain compose des bouquets. Des bouquets de mots, d’histoires, de personnages. Il assemble ces éléments avec légèreté et les attache d’un lien solide, celui de l’amour. Dans Sur les roses, chaque protagoniste est comme un pétale, avec tout ce qu’il incarne de fragilité, de complexité cachée et d’unicité. Y sont blottis les vagues à l’âme et les espoirs fous, qui s’entrecroisent aux grés du récit. Tout commence dans le cœur de Simon Crubel, un bibliothécaire rêveur et maladroit éperdument épris d’Adèle, une jeune femme professeur des écoles élevant seule son fils. Entre les rayonnages de livres, on trouve les ami·es de Crubel : Joëlle l’assoiffée de nouveauté qu’elle dévore avant d’en faire la critique étoilée, Odile qui vit le parfait amour avec son mari Christian depuis de nombreuses années et enfin Michel, l’hurluberlu autrefois acteur sur l’île aux enfants. Tout ce petit monde gravite autour de Simon, veillant sur lui chacun·e à sa façon, y allant de son conseil en suivant sa romance fantasmée comme une série télé.
“Comment des hommes pouvaient-ils se prévaloir d’un tel titre ?
Des femmes le leur accorder ? Et l’assortir d’un possessif ?
Mon mari. En fait, il éprouvait une sorte d’étonnement philosophique comme la fois où, enfant, il avait pris pleinement conscience, éprouvé dans chaque fibre de sa chair, que certains êtres vivants étaient des canards.
– Votre mari ? relança Odile, comme le silence se prolongeait.
Simon songea encore que certains avaient très tôt des têtes de père de famille. Pas seulement des têtes. Une densité existentielle, une épaisseur, une ossature. Quelque chose en tout cas, qu’il ne posséderait jamais et – il en fut convaincu – qui expliquait pourquoi ses plantations crevaient.“
Mais par un concours de circonstances malheureuses impliquant des filatures obsédées et la cueillette sauvage d’une rose, Simon assiste impuissant à la mort de Christian. Encore une histoire de cœur, mais qui lâche brutalement cette fois-ci. Voilà que par un effet boule de neige, tout vole en éclat. Le bonheur, la stabilité, les habitudes et la complicité d’une vie sont remis en perspectives alors que des projets fous montent en graine. Et la rose, toujours présente, motif qui revient sans cesse pour dessiner la trame des relations qui se font et se délient.
Dans ce huis clos villageois, la comédie côtoie le drame avec une légèreté maitrisée. Le style de Luc Blanvillain est fouillé et vivant, métaphorique et sensitif, à l’image de ses personnages hauts en couleur qui forment une farandole chamarrée.
Sur les roses traite d’amours imaginaires, d’éclosion forcée avec une loufoquerie attachante. Au travers ce monde bercé d’illusions esquissées dans les pas de Simon, gamin timide coincé dans le corps d’un adulte, le roman s’axe surtout sur la reconstruction autour du sans, du manque. Il est habité de chimères revêtant les traits d’un passé définitivement résolus tout comme ceux d’un avenir rêvé.
“Simon s’était toujours su fait pour vivre le grand amour. Il n’en avait connu que de petits, plus ou moins brefs. Il n’avait jamais rencontré sa complice. À eux deux, sans doute, ils auraient pu devenir quelqu’un, voyager, comprendre les soubresauts du nouveau siècle, après les torpeurs dans lesquelles s’était dissous le précédent, l’inanité des temps de leur adolescence passée devant la télé, tandis que se creusaient des fosses communes et fermentaient les guerres nouvelles, s’élaboraient les chambres d’écho où proliféreraient les mots vides qui, aujourd’hui, assourdissaient la conscience. […] Leurs sourires burinés prenant merveilleusement la lumière des plateaux. Ou alors ils n’auraient rien fait, mais à deux, visitant l’immense édifice du temps, saisissant sa substance, gorgés de sens et d’ineffable, savourant la splendeur de l’instant, s’aimant aimantés l’un par l’autre.“
Quidam éditeur
286 pages
Caroline