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Dyschroniques

« Quand les futurs d’hier rencontrent notre présent… » La collection Dyschroniques

Collection OVNI dans le paysage de la SF francophone, la collection Dyschroniques publie de la SF politique, critique et réflexive. Une science fiction de l’age d’or qui garde toute son actualité, ou comment réfléchir aujourd’hui avec les futurs d’hier…
Pour découvrir plus en détail le catalogue et cette excellente collection, nous vous proposons une interview avec Josépha Mariotti et Pauline Fousse, les deux éditrices au rênes du passager clandestin.

Pourriez-vous présenter le passager clandestin ?

Le passager clandestin a été créé il y a une douzaine d’années et les trois membres fondateurs ont développé un catalogue au départ tourné vers des thématiques liées à l’écologie. La ligne éditoriale s’est progressivement élargie : désobéissance civile, décolonialisme, décroissance, autogestion, féminisme… puis à partir de 2013, la science-fiction avec le lancement de la collection « Dyschroniques ».

En janvier 2019, la maison a changé de mains. Nous avions toutes les deux fait la connaissance de l’équipe du passager clandestin il y a déjà une dizaine d’années en tant que stagiaires. En prenant la suite de leur travail, nous concrétisons toutes deux un rêve ! Si l’on souhaite maintenir la ligne éditoriale, nos parcours, lectures et affinités participent aussi de son évolution, entre autres notre intérêt commun pour les questions de genre et les féminismes.

Et cette ligne éditoriale, justement, quelle est-elle?

Le passager clandestin est surtout reconnu en tant que maison d’édition indépendante et engagée. Nous avons évoqué plus haut des thématiques de prédilection qui donnent une idée de la ligne éditoriale. Pour la définir en deux mots : « critique sociale ». Nous publions des textes auxquels nous croyons, que nous souhaitons défendre, et dont nous considérons qu’ils peuvent apporter quelque chose au débat social. Nous ne croyons pas à un quelconque ordre immuable de la société. Nous dénonçons chaque fois qu’il est possible les fondements idéologiques d’un système qui se donne pour « naturel » et auquel il n’y aurait d’autre issue que de s’adapter. L’idée est toujours de réfléchir au monde dans lequel on vit, celui dans lequel on aimerait vivre, et celui qu’on ne souhaite pas voir se développer.


Votre catalogue est constitué essentiellement d’essais, excepté la collection Dyschroniques, qui est composée de nouvelle de science-fiction. Pourquoi ce choix d’éditer de la fiction ?

En 2013, l’équipe du passager a eu envie d’introduire la littérature à son catalogue et s’est mis en quête de textes avec un potentiel de critique et d’analyse des fonctionnements sociaux contemporains. L’idée de se diriger vers la science-fiction est apparue rapidement comme une évidence. Les auteurs et autrices de SF se penchent tou·tes à leur manière sur les travers des évolutions technologiques, sur les mécanismes pervers d’organisation sociale et économique vers lesquels on dérive… La SF qui nous intéresse et qui fait l’objet de la collection est ainsi totalement rattachée à nos convictions. Elle permet aussi d’aborder autrement, de manière peut-être un peu moins frontale et aussi plus légère, les thèmes qui structurent notre catalogue. Avec les Dyschroniques, le passager espérait et espère toujours ouvrir les questionnements qui le travaillent à d’autres publics.

Pourriez-vous raconter la genèse et la ligne de la collection Dyschronique ?

Ce qui nous intéresse, ce sont les auteur·ices qui construisaient des hypothèses à partir de l’observation de leur présent et qui anticipaient les évolutions possibles. Donc on peut dire que toutes les nouvelles que nous publions dans cette collection sont des textes qui ont su préfigurer quelques-uns des traits politiques, technologiques ou écologiques caractéristiques de notre présent. Pour le résumer en une phrase : « Quand les futurs d’hier rencontrent notre présent… ».

La collection a été baptisée « Dyschroniques » en référence implicite à deux genres bien connus de la SF à savoir l’uchronie (qui repose sur le principe de la réécriture de l’histoire à partir de la modification d’un événement du passé) et la dystopie (récit de fiction peignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur et contre l’avènement de laquelle l’auteur entend mettre en garde le lecteur). Ici « dyschronique » devient presque synonyme d’anachronique et nous rapproche aussi du sens que nous voulons lui donner. Dyschroniques, les textes que nous publions dans le cadre de cette collection le sont dans la mesure où, lorsqu’ils ont été écrits, ils pouvaient apparaître, anachroniques ou dissonants, c’est-à-dire sans rapport apparent avec la réalité sociale et les expériences vécues de leurs contemporains, mais simultanément, ils le sont parce que, par-delà les années ou les décennies, ils semblent s’adresser à nous, humains des futurs d’hier, et décrire notre propre réalité sociale. Ces textes nous intéressent parce que leur caractère « dyschronique » semble s’être dissout dans l’intervalle de temps qui nous sépare de leur publication originale.

Et à la publication de la nouvelle, s’ajoute ce qu’on appelle la « synchronique du texte ». A la fin de chaque livre, on s’efforce en quelques pages, de remettre la nouvelle dans son contexte historique, politique, de donner des pistes transversales, des conseils de lectures et de films…


Pour l’instant, les textes publiés ont tous été écrits entre les années 1946 (« Un logique nommé Joe « ) et 1979 (« Les retombées »), avec une seule exception pour la nouvelle Pigeon, canard et patinette (2016). Pourquoi ces limites temporelles ?

La période qui nous intéresse correspond grosso modo à la Guerre froide car c’est l’époque à laquelle ont émergé les enjeux qui structurent aujourd’hui nos sociétés. C’est l’âge de l’empire technologique, le moment où science et technique s’imposent de manière pérenne et extrêmement contraignante à l’humanité. C’est aussi l’âge des totalitarismes et de l’ambition du pouvoir politique d’exercer un contrôle sur tous les pans de l’organisation sociale et sur les ressorts les plus intimes de la vie en société. Age enfin de l’anthropocène : l’époque où c’est l’activité humaine qui a le plus d’impact sur les grands équilibres naturels.

La nouvelle Pigeon, canard et patinette constitue une exception : elle a été lauréate d’un concours d’écriture de nouvelles organisé à l’occasion de la publication d’un texte de Jean-Pierre Andrevon, Les retombées. La contrainte était de proposer une suite à cette nouvelle, défi brillamment relevé par Fred Guichen !


Trois textes sont d’auteurs français, un est italien, et le reste anglo-saxon. Est-ce une volonté, ou essayez-vous de trouver des nouvelles venant d’autres horizons ?

Cela relève plutôt de questions pratiques liées notamment à l’accessibilité des textes et des traductions existantes. Néanmoins, nous avons à cœur d’ouvrir la collection à d’autres aires géographiques, on pense notamment à la Russie, à l’Allemagne, etc. Notre nouveau fonctionnement et l’appui notamment sur un comité de lecture (voir question 8) nous permet aussi d’élargir nos recherches puisque nous avons été rejoints par des personnes qui peuvent lire dans d’autres langues.


Éditer un texte d’un auteur décédé, écrit des années auparavant, qui plus est d’un auteur étranger ne doit pas être un travail facile. Travaillez-vous en lien avec des agents, avec des maisons d’édition à la ligne éditoriale proche de la vôtre, etc… ?

Depuis peu, une amie qui a longtemps travaillé en agence nous aide sur ces questions de droits, une aide plus que précieuse !


Comment découvrez-vous et sélectionnez-vous les textes à publier ?

La collection a été créée en collaboration avec Philippe Lécuyer, un passionné du genre et un érudit en la matière. C’est lui qui a exhumé la plupart des textes publiés depuis le lancement des Dyschroniques en piochant non seulement dans une bibliothèque personnelle plus que fournie mais aussi en faisant de l’archéologie dans des revues spécialisées (notamment la revue Galaxie).

Au printemps, nous avons choisi de constituer un comité de lecture qui réunit une quinzaine de passionné·es issu·es d’horizons divers et variés. Pour l’instant, nous travaillons et échangeons via une boîte aux lettres dématérialisée dans laquelle transitent textes à découvrir, valider, fiches de lecture etc. Nous avons hâte d’humaniser tout cela, probablement à partir de l’an prochain via des week-ends dyschroniques !


Pourquoi avoir choisi la forme de la nouvelle, forme pour l’instant encore peu publiée en France ?

On assimile souvent la SF au « pavé de 1000 pages » ou à la fresque planétaire en 8 tomes. C’est une croyance infondée puisque le genre est un des royaumes de prédilection de la nouvelle. Mais celles-ci ont souvent été publiées dans des recueils et surtout des magazines ou revues spécialisées et sont tombées dans l’oubli contrairement aux romans de science-fiction qui sont en général assez bien identifiés et qui ont souvent déjà fait l’objet de nombreuses éditions. Avec la collection « Dyschroniques » nous choisissons de donner à ces nouvelles une existence propre !

Le format de la nouvelle est également intéressant dans la mesure où il implique une certaine concision et une unité thématique. Néanmoins, entre des textes très courts comme Un logique nommé Joe de Murray Leinster et des formats de type novela comme A l’état de nature de Damon Knight ou La vague montante de Marion Zimmer Bradley, il y a une certaine marge de manœuvre !

La science-fiction est souvent un genre vu comme marginal, de seconde zone. Pourtant il est profondément politique, et permet, parfois plus facilement qu’un essai, de diffuser des idées et des pratiques. Comment vous positionnez vous en tant qu’éditrices ?

Les textes publiés dans la collection ont pour point commun principal d’alerter, de jouer sur nos peurs et sont sélectionnés en vertu de leurs qualités spéculatives. Ici, point d’ode au Progrès mais plutôt un réquisitoire sans appel contre les sociétés industrielles et leurs dérives. La science-fiction constitue un medium intéressant pour alerter, véhiculer un message et mettre en garde contre les menaces qui pèsent sur nos sociétés occidentales contemporaines : la main mise de la publicité sur la société, la mégalomanie des grands projets inutiles, l’emprise des complexes militaro-industriels… Mais elle ouvre également des possibles.


Quel est l’avenir de cette collection ? Êtes vous satisfaites de son accueil au sein du lectorat français?

La collection était un peu tombée en sommeil ces deux dernières années. Nous avons choisi de la relancer puisqu’elle tenait beaucoup à cœur notamment à l’une de nous deux. L’occasion de cette relance a été la découverte du formidable texte de Damon Knight, À l’état de nature, publié en juin 2019, une sorte d’utopie rurale génétiquement modifiée !

Nous sommes plutôt satisfaites de l’accueil réservé tant par le public que par la presse à la collection. Au printemps dernier, de nombreux libraires nous ont dit leur joie d’apprendre qu’un nouveau titre allait bientôt paraître. Cet enthousiasme est très communicatif et sans celui-ci, notre activité perdrait beaucoup de son sens.


Quels sont les publications de la rentrée pour la collection Dyschroniques ? Et pour le passager clandestin ?

Il faudra attendre le mois de novembre pour découvrir le prochain titre de la collection. Il s’agit d’une (très) courte nouvelle de Richard Matheson initialement parue en 1954, L’examen (titre original : The Test). Elle aborde des thématiques on ne peut plus actuelles : le vieillissement de la population, la surpopulation, la gestion des personnes dites « non autonomes », la question de l’euthanasie… Rien de bien joyeux certes ! Mais cette nouvelle poignante a été un véritable coup de cœur pour toutes les deux (et pour plusieurs membres du comité de lecture).

Avant cela et pour patienter, nous venons de rééditer trois titres phares de la collection : Un logique nommé Joe de Murray Leinster ; La tour des damnés de Brian Aldiss et La Vague montante de Marion Zimmer Bradley.

Dans d’autres domaines, nous avons profité de l’été pour donner un coup de « jeune » à la collection des Précurseurs de la décroissance, qui sont d’ailleurs devenus les « Précurseur·ses de la décroissance ». Il nous tenait en effet à cœur d’inclure plus de femmes à cette collection comme au catalogue général de la maison et de contribuer à notre manière à redonner une place aux grandes absentes de l’histoire. Nous avons travaillé avec Ferdinand Cazalis qui a réalisé la nouvelle maquette de la collection. Trois titres sont parus à la rentrée : deux nouvelles éditions revues et enrichies, le Kropotkine de Renaud Garcia et le Murray Bookchin de Vincent Gerber et Floréal Romero et l’entrée dans la collection de l’inclassable et fabuleuse Françoise d’Eaubonne ! Écrivaine libertaire et prolifique, militante chevronnée, pionnière du mouvement féministe et de la décroissance, elle publié plus de 50 romans et essais (dont des textes de science-fiction d’ailleurs !).

Pour finir, un coup de projecteur sur un projet à venir ?

En parlant de Françoise d’Eaubonne, nous avons prévu de rééditer un de ses textes, Le féminisme ou la mort, un essai dans lequel elle pose les premiers jalons de sa théorie écoféministe. Un texte écrit en 1974 mais qui fait écho à de nombreux combats actuels. Elle y défend une écologie radicale et un féminisme intersectionnel, mais elle appelle aussi à l’abolition du salariat, de l’argent et de toute forme de domination.

Côté science-fiction, on a envie de donner la place à des textes qui ne peuvent pas s’intégrer dans la collection Dyschroniques mais qui portent des idées qu’on a envie de défendre et de faire lire au plus grand nombre. Mais c’est encore un peu tôt pour vous en dire plus !

Sur “Un dernier livre”, retrouvez la chronique de “Pigeon, Canard & patinette” et d’autres à venir !

À propos Paco

Chroniqueur

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