Avez-vous déjà entendu parlé de l’ Hôtel Atlantide? Passé une nuit entre ses murs ou encore croisé l’un des étranges visiteurs qui y dort, y somnole ou bien y vit? Serge Kliaving lui, oui. Il y est né, tout humain qu’il était et qu’il est toujours, sa mère y séjournant alors suite à un double accident de décompression dans lequel son père a perdu la vie.Il y a grandit, en pension aux côtés de son unique parent, arpentant les innombrables chambres au nombre sans cesse mouvant, aucune identique à une autre et chacune abritant un personnage vaquant à ses affaires. Serge Kliaving en a croqué le portrait, l’intimité abyssale d’un trait hachuré à la fois timide et mélancolique. Les occupants sont des requins sirotant un verre, des exocets filant à travers une chambre, des seiches en costume… Autant de figures Lovecraftiennes vêtues avec la classe des complets des années 30, conversant entre elles, avec des humains tout ce qu’il y a de plus standards ou bien avec leur propre reflet, leur pensées aquatiques perdues. Les scènes de vie quotidienne sont dépouillées, accentuant la solitude qui émane de ces visiteurs et au bout d’un moment ces locataires ne nous semblent plus si décalés, comme si les rôles s’inversaient: qu’une pudeur nous rattrapait devant ces scènes fantasmagoriques de quotidiens intimes.
Sans autre texte que la préface, qui apporte énigme veloutée et mystère écumant, Hôtel Atlantide ne se contente pas seulement d’être esthétique mais réussit à transmettre un sentiment aussi fort qu’étrange par une unique narration picturale. Cet album est en quelque sorte la voix des océans et des mers: muette mais sans cesse en train de déverser un flot de paroles et d’informations.
Le spleen semble habiter ces créatures magnétiques semblant venir tout droit d’une époque préhistorique révolue. Peut-être que l’Hôtel Atlantide a été construit sur une ancienne mer peuplée de fossiles reprenant vie entre ces murs en distorsion constante, le mirage happé et couché sur papier par le coup de crayon de l’auteur.
Sur la terre ou sous la mer? La localisation exacte de ce bâtiment est impossible, et peut-être qu’il s’agit d’un portail entre deux dimensions? Celle d’un souvenir latent et enfoui resurgissant au cœur des rêves, juxtaposée à celle de la réalité concrète des humains et de leurs étiquettes. Car quoi de mieux qu’un établissement rempli de chambres pour glisser dans le monde des rêves et renouer avec ces amphibiens que nous étions il n’y a pas si longtemps.
Editions du Tripode
116 pages
Caroline