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Claro – Sous d’autres formes nous reviendrons

Alors que nous nous remettons à peine de “La maison indigène” ( 2020, Actes Sud), l’auteur de Livre XIX, Chair électrique, Bunker anatomie, CosmoZ ou encore Tous les diamants du ciel ( liste très loin d’être exhaustive) revient avec deux tritres en 2022. Il y a tout d’abord « Amour laine » ( Les petites Allées éditions) pour dire une photographie de Marc Donikian, et puis au Seuil débarque « Sous d’autres formes nous reviendrons ».

Dans son nouveau livre Claro part du 17 février 1497, d’un coté le moine Savonarole, qui à Florence met au bûcher tout ce qui s’apparente à un symbole de richesse, ici brûle « poudres jaunes et sèches, fards aux tons pastel, pommades et onguents portant encore traces de doigt, peignes d’ivoire entre les dents desquels luisent quelques pois vénitiens arrachés à de clairs pubis, miroirs piqués, voilés, dentelles, étoles guipures, squelettes de percale, tanagras craquelés, globes de cristal plus fragiles que la plus fragile corné, incunables au cuir fendu, almanachs obscènes, libelles orduriers,gravures aux chairs roses, robes de bal aux manches épileptiques, jupons ajourés par le feu troussés, tibias percés des flûtes où siffle un faux parcelet, boyaux des cordes claquant au creux des braises, tableautins offensants, coupes agrémentées de putti replets, ciboires naguère consacrés au sang vicié des vignes, éventails satinés, gants de soie,… » Pendant que le même jour Josquin des Prés compose un lamento à cinq voix, une « Déploration » à la mémoire de son mentor Johan Ockecghem sur un poème de Molinet, « Nymphes des bois ».

Partant de ses deux versants de la même date, Claro va brasser des moments clés, des histoires, des lieux, des personnages pour mettre en opposition la vacuité inhérente à chacun que nous tentons invariablement de remplir par ce que l’on crée et la fatalité mortifère qu’est la fin de vie.

Ainsi l’auteur, par son récit dit l’impossible, tend à quérir l’alchimie qui se refuse au vivant, en tentant de s’affranchir de la mort par l’écriture. Ici le corps se meurt, l’esprit s’évapore mais les mots, et par son truchement la pensée, reste, ad vitam, l’empreinte qui légifère sur ce dogme qu’est la mortalité intrinsèque au vivant.

« ::: mort-vivant écrivant me voici en équilibre, autre moi-même gris et noir tour à tour entier et sécable, tenaillé entre tronc-oui et écorce-non, face à mon dos et dos à ma face, en état de mi-néant, »

L’auteur dit, écrit, dépose dans ses mots, et ceux empruntés à ses pairs l’apparente vanité de créer, si ce n’est cette nécessité vitale, cette urgence, de remplacer la vacuité par autre chose, un bout de soi, de son histoire, des histoires et de cette étincelle qui électrise le champ de possibles.

Mais au-delà de ce que l’auteur dit, il y a ce que le lecteur prend et lit. S’aventurer dans ” Sous d’autres formes nous reviendrons c’ est accepter de plonger dans les cercles de la création avec Claro en Virgile, c’est accepter de se laisser balader et recevoir sans filtre les images et sensations que nous transmet l’auteur. Puis c’est cette sensation, ce moment qui suit une expérience forte, cet état, celui de n’être plus comme avant. Ici, le texte laisse sa griffe, marque en profondeur et interroge individuellement notre rapport aux vanités, à la vacuité et au besoin de créer avant la fin.

Passionnant, fin et érudit, ” Sous d’autres formes nous reviendrons” est un texte fascinant regorgeant de détails, de sens de la formule imparable et d’une poésie douce amer poignante portant en elle une envie de transcender le cadre du livre. Prenons le pari, lisez des passages à haute voix, écoutez les mots prendre leurs places dans l’espace, ce texte est bel et bien vivant et habité.

Tentez l’expérience de Claro, lisez ” Sous d’autres formes nous reviendrons” à coup sûr ce texte vous marquera autant par le fond que par la forme.

Beaucoup de choses plus pertinentes ont été dites sur son dernier roman, pour avoir une analyse complémentaire et plus complète je vous invite à lire l’excellent article d’Hugues Robert ici, et celui Mathieu Jung juste là.

Éditions du Seuil,
Fiction & Cie,
120 pages,
Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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