Un roman sur l’identité, sur la fuite de cette dernière. La révélation d’une vie creuse, la longue route d’une déconstruction pour modeler un monde, celui de notre héro, par nécessité. Répondant à d’obscurs besoins, ce voyage mental se répercutant dans sa réalité est très certainement le coup de poing littéraire de cette rentrée.
Et oui parce que la rentrée littéraire est là, avec son lot de titres plus énigmatiques et aguicheurs les uns que les autres, toutes ses promesses de nouvelles révélations. Quid du nouveau Musil, Melville, Perec ou Bolaño. Qui osera déconstruire une nouvelle fois le Roman, jouer avec sa forme, ses mots, sa textualité…un vrai bordel sans nom où les meilleurs titres finissent au fond des rayons et les « page-turner » (insipides) en tête de gondole.
Cessons là le coup de gueule pour se concentrer sur le Contorsionniste. Premier roman d’un auteur totalement inconnu chez nous. Craig Clevenger, natif du Texas et ayant grandi en Californie, est considéré par ses pairs comme étant un auteur de « Neo-Noir », il est encensé par Irvine Welsh ( Trainspotting) ou encore Chuck Palhaniuk ( Fight Club). Une petite recherche sur l’internet permet de nous faire saliver un peu plus à la lecture de la liste des auteurs qui l’influencent… James Ellroy, Jim Thompson, Italo Calvino, Mark Danielewski ou encore Richard Matheson. Et là vous vous dites très certainement « tiens drôle de mélange dans les influences ! », mais oui messieurs et mesdames c’est totalement ça et bien plus encore !
« Mon nom est Daniel Fletcher. Je suis né le 6 novembre 1961. J’ai eu une migraine et elle ne voulait pas s’arrêter. J’ai pris des antidouleurs. Il ne marchait pas et j’en ai trop pris »
Le contorsionniste est la vie de Daniel Fletcher, se réveillant à l’hôpital suite à une overdose médicamenteuse. Sujet à de violentes migraines, notre héros s’est envoyé trop d’antidouleurs dans l’estomac et bien malgré lui doit passer un entretien d’évaluation avec le psychiatre de l’hôpital avant de pouvoir ressortir. Rien de bien méchant me direz-vous ; deux possibilités, soit il s’agit d’un accident, auquel cas il sera libre, soit c’était intentionnel et là, finie la liberté et bonjour les services psychiatriques. Mais Daniel n’en n’est pas à son premier coup, il connaît la routine, connaît les psychiatres, il sait quoi dire et comment agir pour regagner sa liberté. Car voyez-vous cher lecteur, Daniel Fletcher est peut-être vierge de tout antécédents médicaux, mais sa dernière crise ou sa dernière overdose remontre à l’époque d’Eric Bishop à moins que ce soit sous le nom de Christopher Thorne, à moins que…
Notre héros est un faussaire de génie, et ce depuis son plus jeune âge, identité, numéro de sécurité sociale, permis de conduire, empreintes, souvenirs il sait tout faire. Une aisance prestigieuse qui lui a permis de naviguer au gré des envies, fuir les services psychiatriques et la police, mais aussi de se retrouver acoquiné avec les mafieux. Tout en suivant son entretien d’évaluation, l’auteur nous parle de lui, de ses vies multiples, de ses overdoses à répétitions et de ses rencontres.
Nous sommes face à un roman qui a tous les éléments pour devenir culte. A travers cette fuite en avant, cet acharnement à vouloir disparaître, le Contorsionniste est un modèle de critique sociétale, du modèle américain et de l’industrie pharmaceutique. Le personnage n’est pas le reflet de cette société, mais agit en réaction à cette dernière, cherchant avant tout à la fuir ou du moins à mieux la contourner, Jouant de ses personnalités telles des masques en réponse à ce monde de plus en plus schizophrénique.
L’écriture n’est pas en reste, Craig Clevenger a écrit un texte d’une incroyable précision, d’une finesse et d’une élégance d’écriture pop saupoudrée d’éléments plus trash que peut d’auteur se revendiquant de la même influence ont été capables de produire. Un texte que l’écrivain va travailler et retravailler une vingtaine de fois pendant deux ans, attachant une importance aux dialogues et à la cohérence chronologique de son personnage. Quelque part entre Fight Club, Trainspotting et Usual Suspect existe une place pour ce roman.
« Vous devez disparaître. Vous pouvez peut-être trouver quelqu’un de votre âge, avec la même disposition que vous, sans famille, sans amis ni casier judiciaire et à l’article de la mort, prêt à vous vendre son nom pour quelques billes. Mais c’est peu probable. Alors il vous faudra commencer par le commencement.
Trouver un nom. Fouillez les pierres tombales, les notices nécrologiques, les vieilles bibles de vide-greniers. Trouvez quelque chose qui soit ressemblant mais pas évident, qui se remarque mais qui s’oublie : Norton, Dillon, Harris. »
Saluons au passage l’excellent travail de traduction de Théophile Sersiron, qui a su restituer tout l’enjeu d’un tel texte. Le Nouvel Attila à travers sa collection « bibliothèque du Sasquatch » continue à marquer la différence, et pour le coup livre très certainement un des meilleurs titres de cette rentrée.
Le Nouvel Attila,
La bibliothèque du Sasquatch
Trad. Théophile Sersiron
320 pages.
Ted.