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Nicoleta Esinencu L'évangile selon Marie couverture

Nicoleta Esinencu – L’évangile selon Marie

Je vais vous parler d’une lecture qui m’a coupé le souffle. Par la puissance de son message, par l’insoumission et la révolte qui y explosent. Il s’agit de L’évangile selon Marie, suivi de L’apocalypse selon Lilith et L’arche de Noréa : une trilogie où l’autrice moldave Nicoleta Esinencu libère la parole des femmes, opprimées et écrasées par le patriarcat. 

« Par exemple, l’État islamique croit que si tu es tué par une femme, tu n’iras pas au paradis. Les femmes sont devenues leurs peurs numéro un. Tellement ils nous craignent .
[…]

Toutes les femmes du monde sont à mes côtés quand je lutte contre la violence des hommes.
Je n’ai jamais eu l’impression de mener cette lutte toute seule. Peu importe les distances qui nous séparent dans ce monde, nous sentons toutes que nous sommes ensemble. »

En réécrivant ces textes fondateurs de la religion chrétienne occidentale, elle en renverse la domination masculine et fait résonner la voix des oubliées ou des faire-valoir.
Ici, Marie n’est plus un simple vaisseau, une matrice fécondée par miracle pour ne pas entacher sa virginité. Elle est déesse, intégrale et puissante.
Lilith retrouve aussi son entièreté et son pouvoir. Elle qui fut la première femme, modelée de la même terre qu’Adam, son égale (contrairement à Eve qui en est le fruit, le résidu). Dans la Genèse, Lilith est chassée du jardin d’Eden pour avoir refusé de se soumettre à l’homme, ce qui est considéré comme un péché puisqu’elle finit tout droit aux enfers et est encore connu de nos jours pour être une créature démoniaque… Des exemples parmi tant d’autres, qui en disent long sur la place du féminin dans la bible.
Enfin, tout se termine avec Noréa, qui venge toutes ses sœurs en balayant aussi bien la bible patriarcale que le machisme consumériste, lors d’une apocalypse en pluie diluvienne, le déluge. L’eau élément souvent rapporté à la femme, lave ici le monde et la nature d’un joug sectaire et sexiste. 

« * Et il dit à Eve
* ce n’est pas la femme qui a fait l’homme
* mais l’homme qui a fait la femme
* et il dit à Eve
* je suis ton maître
* soit docile
* soit modeste
* soit humble
* soit soumise
* ton destin et de nos multiplier »

Les prières, les paroles d’apôtresses et les nouvelles liturgies sont entrecoupées de fragments de vies et de citations. Entre les versets réécrits aux féminins, des scènes d’entraides sororales se heurtent à la haine genrée de la misogynie, ce pilier culturel oppressif dictant son rôle à la femme. Elle est ménagère et/ou ventre. On peut la violer, la tabasser. Elle doit se taire ou elle est tuée. 

Nicoleta Esinencu déverse la fureur contenue dans les entrailles depuis des siècles entiers, psalmodie le cri de colère et de révolte venu de milliards de bouches bâillonnées. L’insoumission et la puissance déconstruisent les inégalités de sexe, de genre, de statut social, tout en renversant au passage le capitalisme qui gangrène la planète. Un Nouveau Monde s’éveille, inclusif et diversifié, enfin serein.

Ce livre est une véritable claque, j’ai été submergée par le feu des émotions qui éclatent à chaque page, chaque phrase. L’autrice ne se contente pas de détourner les textes religieux, elle les réécrit, se les réapproprie et les offre à toutes et tous. Certain·es y verront une dystopie misandre, d’autres une utopie féministe… J’y ai trouvé un trésor.

« Il masculinisa L’Humanité
Il proclama l’empire du masculin
Et donna son nom aux femmes
Le nom de l’homme
Les femmes n’avaient même plus un nom à elles »

L'évangile selon Marie Nicoleta Esinencu image

Traduit du roumaine par Nicolas Cavaillès
L’Arche, collection Des écrits pour la parole
176 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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