Elsa Bordier est autrice et scénariste de bande dessinée (notamment pour Midnight Tales) . Aujourd’hui, elle lance son tout premier livre en auto-éditions : Les chats noirs meurent de chagrin. Un recueil de nouvelles qu’elle a rédigées ces six dernières années . Ici, elles sont regroupées en un joli livre divisé en cinq thématiques (Bitume, Lichen, Peau, Porcelaine, Brume), chacune illustrée par un artiste talentueux.
Au travers d’une galerie de personnages, l’autrice crée une atmosphère très particulière, à fleur de peau et organique.
On y lit le rythme des saisons, les cycles de la vie, le bruit du vent dans les feuilles et la pulsion du sang dans les veines. La plupart de ses histoires mettent en scène des héroïnes, souvent solitaires et à l’écoute de leurs besoins même lorsqu’ils vont à l’encontre de ce que la société attend d’elles.
Elles sont filles, femmes, sorcières, esprit de la nature ou bien citadines…
Mais toujours, leurs failles ou leurs différences y sont présentées comme des forces. En quelques mots Elsa Bordier nous livre un bout de leurs vies, tout en y dressant peut-être son propre portrait en kaléidoscope.
Il y a des nouvelles tristes et d’autres remplies d’espoir, des fantastiques ou encore des récits qui font écho à nos propres quotidiens.
Les chats noirs meurent de chagrin est un livre d’une incroyable justesse et très sensible. C’est une ballade au cœur d’un univers intimiste merveilleux.
“Pendant quelques secondes, comprendre enfin.
Des coquelicots. Des centaines de coquelicots qui se serraient sur une motte de terre désordonnée, encore un peu boueuse, rendue brouillon par le passage des bulldozer. La nature y avait repris ses droits, la vie aussi.
Fulgurante, rageuse, avant qu’ils ne viennent couler du béton partout et faire oublier la terre, sauvage, vivante.”
Nullipare : adjectif désignant une femme n’ayant jamais accouché. Un mot très peu connu, qui semble barbare et négatif. Mais surtout, qui renferme les stigmatisations et pressions que subissent ces femmes qui n’ont jamais “donné la vie”, que ce soit par choix ou non.
Patricia Grange est nullipare, elle a fermé son ventre, clos son utérus. C’est sa décision, celle de posséder son corps comme elle l’entend et t’enfanter non pas un nourrisson mais des mots. Ventres, sons creux est son cri de révolte, l’affirmation que ne pas vouloir d’enfant lorsqu’on est une femme n’est pas synonyme d’égoïsme, de carriérisme, de tare. Ses poèmes sont puissants, car ils sont l’expression des préjugés ancrés autour du corps féminin, et de la maternité qu’on lui rattache toujours. Maya Mihindou vient agrémenter le texte de ses dessins viscérales : en jouant avec le dedans et le dehors, elle fait ressortir les combats mais aussi le primitif et le sacré de chaque femme.
Ensemble, elles donnent voix à celles qui font le choix de rester nullipare. À celles qui doivent sans cesse se justifier, expliquer que si leurs ventres restent vides, elles n’en sont pas pour autant monstrueuses, insensibles ou moindres. L’autrice ne démolie jamais les mères et ne s’appuie pas sur des contre arguments agressifs, mais reste entièrement bienveillante et déculpabilisante. Elle laisse tout simplement libre court à des parole, restées longtemps enfouies.
“Je ne vais pas
Je ne vais pas éventrer ma chaire
Juste pour te rassurer
Je ne vais pas saigner mon monde
Juste pour rentrer dans le rang de la « normalité »”
Ventres, sons creux est un recueil de poèmes féministes qui invite à repenser et surtout à cesser de juger ou de rabaisser. Qui rassure sur le fait que oui, les femmes sont entières qu’elles aient accouché ou non, et qu’elles ont le droit de s’épanouir comme elles l’entendent, sans s’illustrer forcément à travers des carcans étriqués.
Un livre vibrant et percutant, porteur d’un message universel qu’on tente pourtant encore d’ensevelir.
“Mon âme n’est pas
Un mouton docile
Qui suit poliment le troupeau.
Mon âme a doucement
Cherché son chemin
Au cœur des sentiers sauvages.
Votre chemin n’est pas le mien.
Mon chemin n’est pas le vôtres.
Je ne piétinerai pas votre destinée.
Ne crachez donc pas sur mon destin.”
Ventres, sons creux
Poèmes nullipares de Patricia Grange, illustrés par Maya Mihindou
Éditions Vertébrale
65 pages
Les chats noirs meurent de chagrin
Recueil de nouvelles d’Elsa Bordier, illustré par Mirion Malle, Sanoe, Mloyan, Sourya, Élodie Shanta
180 pages
Caroline