Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
En finir avec le mythe de la végé et du viandard
Journaliste et traductrice, Nora Bouazzouni a également participé à la création du podcast Plan culinaire, produit par Louie Média. Steaksisme est son second essai, après Faiminisme, quand le sexisme passe à table, paru en 2017 aux mêmes éditions Nouriturfu. Passionnée par le domaine de la gastronomie, l’autrice s’exprime ici d’un point de vue féministe. Elle décortique les injonctions genrées et les stéréotypes sexistes liés à la nourriture et auxquels nous sommes confronté·e·s dans nos sociétés hétéro-patriarcales.
Il sera donc question, dans cet essai, de yaourts qui font jouir, de charge mentale et du dogme carniste.
En cinq parties concises, Nora Bouazzouni questionne l’acte de se nourrir. C’est d’abord une façon de construire son identité, culturelle, sociale ou même familiale. A ce titre, la nourriture n’échappe pas aux stéréotypes de classe, de race et de genre.
L’autrice remonte l’Histoire de la misogynie jusqu’à l’Antiquité, époque pendant laquelle l’infériorité supposée des femmes par rapport aux hommes est établie en postulat. Dans le même temps, certains aliments dépréciés sont associés au féminin. Or, ces idées imprègnent encore aujourd’hui les stéréotypes sexistes sur lesquels jouent le marketing et la publicité.
Si les aliments eux-mêmes sont genrés, il va sans dire que les tâches consistant à cuisiner, nourrir sa famille et la garder en bonne santé grâce à une alimentation appropriée le sont également. Discrimination encore lorsque les injonctions poussent les femmes aux restrictions quand on valorise dans le même temps les hommes « bons vivants ». Et tout se complique encore un peu plus quand les injonctions faites aux femmes deviennent contradictoires. Elles doivent trouver l’équilibre : manger assez pour ne pas avoir l’air de chipoter, tout en restant très mince. Lutter pour rester mince, tout en assumant leurs rondeurs …
En somme : manger des yaourts rend heureuse (et mince), être heureuse (et mince) rend belle, être belle (et mince) rend désirable – bravo, vous êtes une femme acceptable !
Le marketing, second point abordé dans Steaksisme, a bien sûr tout à gagner en renforçant les stéréotypes de genre. Le but est de segmenter le marché au maximum et de coincer chacun·e dans un rôle assigné. Il s’agira ensuite de créer et de vendre un produit spécifique à chaque identité supposée. Le marketing agro-alimentaire ne fait pas exception, comme le démontre Nora Bouazzouni à travers de nombreux exemples.
L’autrice s’attaque également à un aliment pétri de symbolisme et imprégné de pensé magique : la viande. Élément de l’assiette désigné comme « viril », manger de la viande rouge revient à performer la masculinité hégémonique.
Le constat est clair, notre alimentation et les activités qui en découlent, sont, pour diverses raisons, genrés. Mais il reste à comprendre quelles sont les conséquences de ces discriminations en termes de santé et d’écologie. Ce sera l’objet du dernier chapitre de Steaksisme.
Ce second essai de Nora Bouazzouni est dense et court, écrit avec panache. Bien construit, c’est avant tout un texte aux informations sourcées. De nombreuses études universitaires et les ouvrages cités viennent corroborer les propos de l’autrice. Ces références sont, de plus, autant de possibilités de nouvelles lectures passionnantes. Enfin, Steaksisme permet de décortiquer et comprendre les stéréotypes de genre à l’œuvre en matière d’alimentation. Pour débusquer le patriarcat qui se niche aussi dans nos assiettes et apprendre à ne plus s’y conformer malgré nous.
Paru le 22 avril 2021 aux éditions Nouriturfu
Illustration de couverture : Léa Chassagne
144 pages
Amélie
