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A weird interview : luvan

De discussions en discussions, l’envie est envie à la team Un Dernier Livre de mettre en avant le genre trop méconnu en France du Weird (Définition ici). Chroniques, interviews, analyses du genre et de ses œuvres, voici ce que nous proposons de retrouver régulièrement sur le site. Pour commencer, nous avons voulu faire un focus sur une écrivaine française qui flirte volontiers avec le genre apatride du weird, une touche à tout littéraire et sonore dont l’oeuvre est à découvrir absolument : luvan.

Bonjour luvan, pour commencer peux tu nous raconter un peu qui tu es, et d’ou tu viens ?

Ouch. luvan est un mot suédois qui désigne le bonnet du tomte (créature secrète, tantôt utile, tantôt pénible, entre le lutin et le kobold). Mon amie Lois m’a donné ce surnom de loin, avant de me connaître. On a passé des mois à s’observer avant d’oser le contact. J’ai pris ce pseudonyme parce que je vise à ça : Agacer. Surprendre. Me défier des paroles. Prendre le temps de les penser avant de les aligner. Considérer ma langue comme une langue étrangère. L’apprendre à jamais. Changer de forme. Être petite, me faufiler. Ne rechigner à aucun coin sombre. Envahir l’intimité aussi bien que le grotesque, le familier comme le surnaturel. Ce genre de trucs.

Tu as une oeuvre très protéiforme : pièces de théâtre, feuilletons radiophoniques, nouvelles, romans jeunesse, poésies… D’où vient cette volonté de toucher a tant de genres ?

J’aime bien le mot protéiforme ! Je ne sais pas si c’est une volonté. C’est venu comme ça. J’essaie de comprendre / aimer le chaos. Et un médium ne suffit pas. Je dessine aussi beaucoup. Avec maladresse et approximation. Pour mieux regarder. Regarder – raconter, un va-et-vient constant que je ne parviens pas à mettre sur pause. Qui sait ? Un jour, j’aurai peut-être tout pigé et je deviendrai muette et contemplative, façon tanche ?

Tu viens tout juste de sortir ton premier roman, Susto. C’est un roman particulier, dense, difficile d’approche. Très poétique, avec des tonalités et des écritures parfois très différentes suivant les personnages, des onomatopées, des dessins etc… Il rappelle La horde du contrevent, ou Enig Marcheur. Comment s’est déroulé l’écriture ? Et le travail autour du livre ?

J’ai longtemps réfléchi avant d’écrire. En partie parce que j’avais besoin de me documenter. En partie parce que j’avais… et bien peur, tout simplement. Peur de l’ampleur de la tâche. Ensuite, je savais qu’il me faudrait du temps pour construire un univers cohérent, typé. Et qui dit temps dit argent. Je vis de traductions, de boulots ponctuels en radio, en théâtre. Parfois d’ateliers d’écriture.

Et de mes droits d’auteur bien sûr, mais ça ne vole pas haut. Pour me ménager du temps d’écriture, je dois trouver des bourses, ce qui rajoute encore un délai entre l’idée de base et l’écriture même. J’ai commencé à écrire en résidence (cf. question suivante). Après une très longue balade le long d’un canal, j’ai ouvert un de ces carnets, que j’achète par lots en Suède).

Je me souviens que je tremblais de peur. Et… c’est venu. Un flot de mots impatients. J’ai écrit sans interruption pendant deux heures. C’est arrivé

comme ça. Des impressions, des odeurs, des sons. Précis. Des personnages consistants, charnels, auxquels je n’ai jamais eu besoin de réfléchir. Je comptais écrire un huis-clos, un triangle amoureux, quelque chose d’étroit et de centré. Tout a débordé. J’avais passé tellement de temps à penser cette ville qu’elle était déjà présente en moi, dans sa complexité. Intriquée, multiple. Soudain, des vieilles, des enfants, une mafia chinoise, un pope russe… Je ne sais vraiment pas comment c’est arrivé. Quand j’y repense, ça me paraît encore miraculeux. Je ne suis pas convaincue que ça se reproduise un jour.

Combien de temps t’as t-il fallu pour écrire Susto , de l’idée initiale au texte final ?

Je crois que l’idée a émergé consciemment en 2012, mais elle nageait sous la surface depuis bien plus longtemps. J’ai toujours su que je ferais “un truc sur les volcans” et cette envie a fusionné, de façon très organique, avec un besoin de plus en plus urgent d’analyser les dynamiques sécuritaires qui grignotent les cales de notre bateau. J’ai passé une année à me gaver de doc sur la vulcanologie, j’ai demandé un crédit de résidence au CNL (Centre National du Livre) sans trop y croire. Et BAM ! J’ai écrit les 2/3 du bouquin en deux mois, en Camargue, dans un des studios situés à l’étage de l’ancienne école de village où crèche le Diable Vauvert (gérés par une asso appelée Les Avocats du Diable). C’était à l’automne 2014. Le dernier tiers a été plus compliqué à écrire. J’ai postulé (en vain) à d’autres bourses. J’ai dû faire plusieurs traductions pour remplir mon compte en banque avant de me relancer. Au final, j’ai posé mon stylo courant 2017. La Volte a été hyper réactive pour la sortie.

Les langues ont une grande importance dans ton oeuvre. Susto est un mot espagnol, luvan sonne scandinave, tu es traductrice, etc… As-tu une volonté de construire une oeuvre allant au delà des barrières de la langue ? Une sorte d’oeuvre monde, ou mondiale ?

Voui. J’ai toujours eu la sensation d’être tombée dans le français par pur hasard.

Dans une interview pour le site belge Bela, tu définis ton travail comme Weird. Quel est pour toi la définition du genre Weird, et comment ton oeuvre s’intègre au sein de ce genre ?

En fait, c’est Raphaël Rousseau qui a qualifié Few Of Us de “weird” sur Goodreads. Je n’avais jamais entendu parlé de ce genre auparavant. J’ai maté Wikipédia et je me suis dit ahoui. Lovecraft, Poe, VanderMeer. Bien sûr.

Le weird est-il selon toi un genre présent en France ou appelé a se développer ? Des auteurs comme Volodine ou Leo Henry, ou des éditeurs comme la Volte, ou l’Ogre, seraient-ils en train de créer une école Weird Francophone ?

Je ne sais pas. J’ai rencontré Léo Henry chez L’Oxymore. Nos univers sont voisins, voire se grimpent dessus à nos dépends. Au-delà de cette camaraderie singulière, il existe une véritable affinité entre les auteurs de la Volte et de Dystopia, mes deux principaux éditeurs. Affinité qui n’est pas exactement le fruit du hasard : Mathias Echenay, Xavier Vernet (et Léo Henry lui-même !) aiment créer des liens. Au-delà de ça, nous renouons probablement avec une envie de distorsion du réel qui a toujours été là. Hors Volodine, on peut citer Serge Brussolo, Mika Biermann, Céline Minard (je ne parle de ce que je connais mais la liste est sûrement beaucoup plus longue), qui évoluent hors du radeau Dysto-Volte.

Est-ce un genre que tu lis, qui te tiens a cœur ?

J’aime les pas de côté. J’y suis attachée comme forme radicale de fable politique. Mais j’ai beaucoup d’affection pour l’écriture du réel. Creuser en frontal. S’attarder. Plonger en eau trouble. Ne rien comprendre. Retenir son souffle. Revenir à la surface pour survivre. Redescendre. Comprendre mieux. Quand le weird n’est qu’évitement, il m’intéresse dans la forme, mais me lasse. Tandis qu’un récit pourra me toucher par sa candeur, son atrocité. La Fin de L’Homme Rouge, de Svetlana Aleksievitch, m’a totalement scotchée. Au cinoche, Braguino de Clément Cogitore ou Les enfants en prison de Rossella Schillaci m’ont beaucoup plus bouleversée que la (pourtant très chouette) adaptation de Annihilation par Alex Garland. C’est peut-être ce que je cherche avant tout dans l’écriture : la stupeur par la vérité.

Tu as traduit (du suédois et de l’anglais) le roman Amatka, de Karin Tidbeck aux éditions La volte, qui fait partie de l’école Weird scandinave. Comment expliques-tu que ce genre soit plus développe dans les pays scandinave ?

Aucune idée ! Je n’en suis pas étonnée, mais c’est purement instinctif. Je n’ai pas le début d’une théorie sérieuse.

As-tu de futurs projets d’écriture, de traductions, d’autres formes artistique ?

Plein ! Un huis-clos monacal dark (bouquin). Des histoires de fantômes décalées avec mon acolyte poly-instrumentiste Thomas Giry (radio). Une édition illustrée par Ambre de mes variations sur L’Iliade pour le conteur Matthieu Epp. Côté scène, l’adaptation d’un roman (pas le mien) en une série de performances et deux excitantes collaborations avec l’artiste slovaque Lenka Luptáková. En trad, il n’y a rien de signé, donc je préfère ne pas dire. Et puis il y a toute la liste des idées pour la suite, dont des histoires de train à quatre mains et une fresque apo qui a surgi cet été et qui me démange déjà. IL ME FAUT PLUS DE TEMPS !

Une lecture récente qui fut un coup de cœur ?

Le tout tout dernier coup de cœur (pour de vrai : quand tu retiens ta respiration tellement tu trouves ça pertinent, vrai, beau) c’est une nouvelle de Virginia Woolf intitulée Le Roman Qu’on n’a pas écrit. (An Unwritten Novel). J’étais désœuvrée devant une étagère remplie de bouquins. J’en ai ouvert un au hasard et VLAN. La baffe. Mais je peux en citer plein d’autres ! Désolée pour le Volte-copinage, mais j’ai adoré Kalpa Impérial d’Angélica Gorodischer, j’ai été ensorcelée par la beauté cyclothymique du Hildegarde de Léo Henry. Dans un style plus pulp, j’ai dévoré le licorne-nihiliste Toxoplasma de Sabrina Calvo. En terreur, Anna Starobinets et Anders Fager m’ont mise au tapis. Lectures plus lointaines mais qui m’ont vraiment marquée, la poésie de Helga Novak (C’est là que je suis), La Fin de L’Homme Rouge de Svetlana Aleksievitch et le mystérieux et très singulier Darkmans de Nicola Barker.

À propos Paco

Chroniqueur

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