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Le monstre des Hawkline – Richard Brautigan

Chanceux celui qui n’a encore jamais lu un livre de Richard Brautigan.

Heureux celui qui découvrira bientôt l’œuvre foisonnante, foutraque, hilarante, poétique et essentielle de cet auteur incontournable de la littérature américaine.

Mais !

Chanceux aussi celui qui a déjà tous les ouvrages du maître dans sa bibliothèque. Heureux celui qui a lu Un privé à Babylone, Mémoires sauvés du vent ou La vengeance de la pelouse.

Car alors, il a, pour toujours, vécu ce choc magnifique que représente la lecture de Brautigan. Ce moment fébrile où le fou rire incontrôlable succède à la larme indocile, ce moment magique où la poésie pure s’empare d’un récit où la logique passe au second plan.

C’est là tout l’art de Brautigan : l’histoire est un prétexte, le mot est le plus important. L’image, la force d’évocation, le jeu de mot, tout cela est au cœur d’une œuvre tour à tour bouffonne et profonde. Brautigan s’amuse – avec les genres, avec ses personnages – puis nous émeut lorsque la force du rire se dissipe dans la brume.

Le monstre des Hawkline est, de ce point de vue, une espèce de résumé de l’œuvre de Brautigan, le livre qui correspondrait peut-être le mieux pour illustrer ce qu’est sa littérature. Ecrit en 1974, il met en scène deux tueurs à gage chargés par une riche héritière d’éliminer un monstre qui aurait élu domicile dans le sous-sol de son immense demeure.

Mais en un sens, tout cela importe peu, car il n’y a pas véritablement d’intrigue dans ce roman. L’idée première est de faire une parodie de plusieurs genres littéraires (dans le même ordre d’idée, Brautigan signera quelques années plus tard Un privé à Babylone, un polar à la manière de Raymond Chandler, mettant en scène un détective minable qui se perd – littéralement – dans ses rêveries). D’abord le western, à travers la figure des deux criminels un peu simplets, à l’esprit limité, sorte de parents éloignés des personnages lunaires des films des frères Coen. Sur quelques chapitres brefs (une marque de fabrique de Brautigan), on les suit traverser le pays à dos de cheval, dans les pas d’une jeune indienne venue les chercher pour les mener jusqu’à son employeur, Miss Hawkline. Ils descendent dans des saloons et dorment dans des granges, comme deux véritables cow-boys du far west.

Puis le western devient roman gothique, comme un clin d’œil à Shirley Jackson ou Ann Radcliffe, lorsque les deux tueurs et leur guide arrivent à destination, la maison de Miss Hawkline, une grande demeure de style victorien, perchée dans une colline glacée, loin de toute habitation. Apparaît alors la figure du monstre qu’il faut combattre, même si tout le monde passe plus de temps à discuter à table et faire l’amour plutôt que chasser le monstre.

On imagine les situations cocasses et loufoques dans le pur style de Brautigan, des dialogues absurdes que n’aurait pas renié Beckett et des scènes proches du théâtre de boulevard. C’est le plus souvent hilarant. Mais, sous la surface, pointe ce monstre terrifiant, donnant tout le sel et le relief de l’ouvre de Brautigan. Car chez lui, on ne se contente pas de sourire. On réfléchit bien plus qu’il n’y paraît et on danse avec les ombres.

Précisément, le monstre abrité par la famille Hawkline est la Lumière, fabriquée par le père des filles Hawkline, ayant échappé à son créateur et qui prend un malin plaisir à tourmenter les habitants de la maison (on la trouverait hantée). Dans un revirement aussi absurde que génial, la Lumière est l’immonde force malfaisante qu’il faut combattre et son ombre, condamnée à le suivre et à subir toutes ses mauvaises actions, est l’héroïne qui tentera, de l’intérieur, de nuire au monstre.

Le manichéisme inversé, la lumière qui mène au chaos, le précipice que l’on ne voit pas venir, ce sont peut-être là tous les ingrédients qui ont mené la vie de Brautigan, auteur à succès qui se suicida en 1984. Il avait connu très tôt la reconnaissance, prenant bonne place dans le mouvement hippie du San Francisco des années 60. Plusieurs de ses romans avaient suscité un enthousiasme chez les critiques, notamment La pêche à la truite en Amérique, qui lança sa carrière en 1967.

Heureux celui qui n’a pas encore lu ce livre.

Et heureux celui qui se souviendra avec un sourire tendre et la larme à portée de la main des passages les plus éblouissants de ce roman.

Alexandre

brautigan hawkline couverture miniature

Le monstre des Hawkline

Richard Brautigan

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Doury et Lorraine de la Valdène

éditions Christian Bourgois – collection Titres

À propos Alexandre

Chroniqueur

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Un commentaire

  1. Heureux ceux et celles qui liront votre chronique !

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